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La pilule rouge
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9 mars 2017

Pascal Boniface

Pascal Boniface

Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationale : et stratégiques (IRIS). II enseigne à l'Institut d'études européennes de l'Université Paris-VIII et a écrit et dirigé une cinquantaine d'ouvrages sur les questions stratégiques. L'IRIS est un centre indépendant d'études en relations internationales. Ses activités comprennent la recherche et l'expertise, les publications, l'organisation de colloques et séminaires et l'enseignement sur les questions internationales.

 

La géopolitique

Titre : La géopolitique

Auteur : Pascal Boniface

Genre : Géopolitique

Date : 2016

Pages : 207

Éditeur : Eyrolles

Collection : Eyrolles pratique - Histoire

ISBN : 978-2-212-56364-1

 

 

La géopolitique, en tant qu'étude des relations internationales, rend compte du phénomène de la mondialisation tout en analysant ses mécanismes. Pédagogique, ce guide commence par définir la géopolitique. Pratique, il propose 42 fiches thématiques pour dresser un panorama des conflits, des problématiques et des tendances du monde actuel. Illustré par une vingtaine de cartes, il constitue une synthèse d'introduction et de référence sur le sujet. Les défis - Les crises - Les tendances - Les questions.

 

 

Israël, inquiet de la dégradation de son image et des critiques de plus en plus nombreuses à son égard sur le Web, a mis en place une force de réaction, d’intervenants, qui doivent nourrir différents sites d’argumentaires favorables à la politique israélienne.

Pascal Boniface, La géopolitique, page 72

 

Chapitre 3 : Israël – Palestine

Se déroulant sur une surface réduite, considéré militairement de basse intensité, le conflit israélo-palestinien est pourtant d’une importance stratégique majeure.

« Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. » En parlant ainsi de façon inexacte de la Palestine en 1917, Lord Balfour créait les conditions du conflit israélo-palestinien à venir tout en définissant sa nature : une rivalité pour le contrôle d’un territoire.

Si le peuple juif n’avait effectivement pas encore son État, la Palestine, appartenant à l’époque à l’Empire ottoman, n’était pas inhabitée pour autant.

Théodore Hertzl publiait, en 1897, l’État des Juifs, réclamant la création d’un État pour le peuple juif afin de le mettre à l’abri des persécutions antisémites. En voulant donner une réalité à ce projet, Lord Balfour comptait obtenir le soutien des communautés juives dans la guerre contre l’Allemagne. Cette promesse était contradictoire avec celle d’accorder l’indépendance aux peuples arabes s’ils se joignaient à Londres dans la lutte contre l’Empire ottoman.

À l’issue de la première guerre mondiale, la Palestine fut donnée en mandat à la Grande-Bretagne. Les juifs composaient alors 10% de la population. L’attraction du projet sioniste et les persécutions antisémites en Europe provoquaient une migration massive. À l’orée de la seconde guerre mondiale, les Juifs constituaient 30% de la population palestinienne. Cette montée en puissance démographique et l’achat de terres qui l’accompagnait avaient créé des tensions entre les communautés qui jusqu’ici vivaient en bonne harmonie.

L’ONU prévoyait un plan de partage de la Palestine permettant la création d’un État arabe et d’un État juif côte à côte. Les Arabes, se sentant floués et estimant qu’ils payaient le prix d’un génocide commis en Europe par les Européens, refusaient le principe de la création d’un État juif. La première guerre israëlo-arabe éclatait. Elle fut gagnée par le jeune État hébreu qui s’élargissait, en passant de 55% à 78% de l’ex-Palestine mandataire. De nombreux Palestiniens fuyaient ou étaient chassés de leurs villages et devenaient des réfugiés. Jérusalem-Est et la Cisjordanie était occupés par le Jordanie, l’Égypte prenant le contrôle de la bande de Gaza. Les pays arabes refusaient de reconnaitre Israël. En 1956, conjointement avec la Grande-Bretagne et la France, Israël lançait une opération militaire contre l’Égypte qui venait de nationaliser le canal de Suez. L’aide apportée à l’Égypte par l’URSS contraignit les trois pays à se retirer du canal. Par une guerre préventive surprise (la guerre des Six Jours), Israël anéantissait les armées syrienne et égyptienne et prenait le contrôle du Sinaï égyptien, du Golan syrien ainsi que de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. La paix israélo-égyptienne, conclue sous les auspices des États-Unis par les accords de Camp David de 1978, permettait la restitution du Sinaï à l’Égypte.

L’annexion du Golan syrien et des Territoires palestiniens n’était pas reconnue par la communauté, y compris par l’allié américain.

En 1973, une nouvelle guerre opposa l’Égypte et la Syrie à Israël et se conclut par un statu quo. Un mouvement national avait pris naissance dans les années 1960 en Palestine, il va passer du refus de l’existence d’Israël à son acceptation, à la fin des années 1980, en se ralliant à la perspective « des territoires contre la paix ». C’est-à-dire la création d’un État palestinien, non pas sur les contours prévus par le plan de partage de 1948, mais sur la situation prévalant à l’issue de la première guerre israélo-palestinienne, donc sur les territoires conquis par Israël en 1967.

Trois événements allaient changer la face du conflit, à la fin des années 1980. Une révolte populaire, l’Intifada, se déclencha en Palestine contre l’occupation israélienne. Celle-ci n’était plus combattue par des moyens militaires de l’extérieur mais par une protestation populaire. L’effondrement de l’URSS permit l’immigration d’un million de Juifs soviétiques vers Israël, donnant un avantage géographique aux Juifs sur l’ensemble des territoires occupés. La guerre du Golfe montrait l’importance du dossier palestinien dans l’ensemble des opinions arabes et donc l’urgence, pour les États-Unis, de s’attaquer au règlement du problème, s’ils ne voulaient pas se couper des peuples de la région. Les accords d’Oslo, signés en 1993, comprenaient la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens et une mise en place progressive d’un retrait israélien permettant la création d’un État palestinien. L’assassinat du Premier ministre israélien qui les avait signés, Yitzhak Rabin, par un extrémiste juif. La poursuite de la colonisation israélienne des Territoires palestiniens pendant le processus de négociation, l’organisation d’attentats terroristes par les radicaux palestiniens du Hamas refusant de reconnaître Israël allaient faire perdre confiance dans le processus de paix. L’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon, qui s’était toujours opposé au processus de paix, en Israël début 2001, le climat de confrontation entre monde occidental et monde musulman après les attentats du 11 septembre 2001, allaient entraîner la fin des espoirs et l’escalade de la violence.

Le paradoxe est qu’il y a un consensus général sur les contours d’un futur accord, à savoir la création d’un État palestinien sur les territoires conquis par Israël en 1967, la reconnaissance d’Israël par l’ensemble des pays arabes, la désignation de Jérusalem-Est comme capitale de chacun des États israélien et palestinien, d’éventuels échanges territoriaux pour tenir compte de la colonisation à condition qu’ils soient compensés territorialement et mutuellement agréés, un accord sur le retour des réfugiés palestiniens prévoyant une reconnaissance politique de préjudice, mais n’impliquant pas un retour physique afin de permettre à l’État de rester majoritairement juif.

Les Palestiniens sont divisés politiquement et territorialement entre la Cisjordanie (contrôlée par les autorités palestiniennes) et la bande de Gaza (contrôlée par le Hamas). Gaza est soumis è un blocus co-organisé par Israël et l’Égypte. En juillet 2014, suite à des tirs de roquettes lancés sur le sud d’Israël par le Hamas, Israël a répliqué par des bombardements massifs qui ont fait environ 2000 morts côté palestinien.

Réélu en 2015, Netanyahou, qui s’était opposé aux accords d’Oslo, estime que le temps joue pour lui et compte sur une politique de fait accompli. Le camp de la paix en Israël, devenu très minoritaire, estime que cette position n’est pas viable à long terme.

L’enjeu est majeur dans la mesure où le conflit israélo-palestinien est l’épicentre d’un éventuel choc des civilisations. Ce conflit est limité géographiquement et également dans son intensité meurtrière (il fait moins de morts que de nombreux autres conflits qui ensanglantent la planète), mais il a une importance symbolique, et donc stratégique majeure. Les Arabes et les musulmans, et plus largement la plupart des pays issus de décolonisation, considèrent que le maintien de l’occupation israélienne n’est possible que par le fort soutien politique, juridique, économique et stratégique qu’apportent les pays occidentaux, les États-Unis en tête, à Israël. Cela prouve pour eux le double discours des Occidentaux qui prônent la démocratie et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais qui participent à son reniement si un de leurs alliés est concerné. La cause palestinienne est devenue une cause emblématique pour ceux qui veulent tenir des discours anti-occidentaux.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 89 à 93

 

La géopolitique

Titre : La géopolitique

Auteur : Pascal Boniface

Genre : Géopolitique

Date : 2020

Pages : 207

Éditeur : Eyrolles

Collection : Eyrolles pratique Histoire

ISBN : 978-2-212-57442-5

 

La géopolitique, en tant qu'étude des relations internationales, rend compte du phénomène de la mondialisation tout en analysant ses mécanismes. Pédagogique, ce guide commence par définir la géopolitique. Pratique, il propose ensuite 50 fiches thématiques et documentées pour dresser un panorama des conflits, des problématiques et des tendances du monde actuel. Il constitue une synthèse d'introduction et de référence sur le sujet. Cette nouvelle édition comprend des cartes mises à jour et des textes inédits.

 

Extraits :

Yves Lacoste développe le concept [de géopolitique] : « L’étude des différents types de rivalités de pouvoir sur les territoires, […] la puissance se mesurant en fonction de potentialité territoriale interne et de la capacité à se projeter à l’extérieur de ce territoire et à des distances de plus en plus grandes. » Il précise : « Le terme de géopolitique dont on fait de nos jours de multiples usages désignant de fait tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur les territoires et les populations qui y vivent : rivalités entre des pouvoirs politiques de toutes sortes – et pas seulement des États mais aussi entre des mouvements politiques ou des groupes armés plus ou moins clandestins -, les vérités pour le contrôle ou la domination du territoire de grande ou de petite taille. » C’est pour lui la combinaison de la science politique et de la géographie.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 11 et 12

 

Les nations sont des corporations économiques qui se battent pour la victoire. Les tentations que suscitent les marchés de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Extrême-Orient ont conduit les Européens à se lancer dans une course, cette dernière reposant sur la force. Les relations internationales peuvent s’étudier en termes de stratégie et de tactique. Chaque nation peut perdre ou gagner selon les choix qu’elle fait. Il n’y a pas pour elle de substitut à la force et le concept de droit international est donc illusoire. Ce dernier est d’ailleurs régulé par la force elle-même. La guerre peut être moralement justifiée en l’absence de toute autorité internationale sur la base de l’existence de vérités morales.

Pascal Boniface, La géopolitique, page 21

 

La crise du Covid-19 a alors révélé un autre effet de la mondialisation : pour la première fois, l’ensemble de l’humanité partageait la même peur. Pour ce qui est des conséquences stratégiques, cette crise est plutôt venue accentuer des tendances existantes (qui sont citées dans plusieurs chapitres de ce livre), mais n’en a pas créé de nouvelles.

Parmi ces tendances, on peut noter la fin de la domination occidentale sur le monde. Le monde occidental a été pris de court par la pandémie, pensant qu’il ne pouvait pas être atteint, protégé par sa puissance, sa richesse et la qualité de ses équipements hospitaliers. On a vu au contraire des hôpitaux débordés et même des fosses communes à New York. Face à a pandémie, le monde occidental n’a pas été mieux loti que le reste du monde. La pandémie est venue confirmer, aux yeux des émergents et du reste du monde, que l’Occident avait perdu de sa superbe et de sa revendication à vouloir diriger le monde. […] La Chine confirmait sa montée en puissance, bien qu’elle fût la première frappée. Elle organisait, une fois la crise maîtrisée en interne, un vaste système d’aide sanitaire international, soutenu par une mise en scène appuyée, principalement (mais pas seulement) destinée aux pays africains. Elle entendait donner l’image d’une puissance responsable et bienveillante, à l’opposé des États-Unis qui, repliés sur eux-mêmes, refusaient d’autant plus d’aider les autres pays qu’ils avaient du mal à gérer la crise en interne. Cette communication permettait à la Chine de marquer des points sur le plan diplomatique, mais elle était également perçue comme une propagande excessive. Toujours est-il que contrairement à ce qu’avaient prédit les adversaires de Pékin au déclenchement de la crise, celle-ci n’allait pas entraver la montée en puissance de la Chine. Et ce d’autant plus que la panne économique provisoire de la Chine avait eu des répercussions immédiates dans tous les autres pays, y compris chez ses rivaux japonais et américains, du fait de la place centrale de l’empire du Milieu dans l’économie mondiale. Là où la Chine ne pesait que 4% du PIB mondial en 2003, elle en représente désormais 17%. Ainsi, lorsqu’elle s’enrhume, c’est bien le monde entier qui tousse.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 42 et 43

 

Le terrorisme est désormais considéré comme une menace majeure dans les pays occidentaux, la Russie, les pays arabes et musulmans… D’après le Global Attack Index du Jane’s Terrorism and Insurgency Center, en 2018, moins de 1% des attentats ont été commis en Europe occidentale (143 attaques) alors que 97% des morts et 70% des attaques se situent au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie du Sud et de Sud-Est. Les régions les plus touchées sont l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (6345 attaques pour 4335 morts, soit 41% du bilan mondial). Le nombre total d’attaques s’élève à 15321 et le nombre de morts à 13483.

Pour lutter contre le terrorisme, certains régimes peuvent être tentés d’employer des moyens répressifs bafouant le respect des droits de l’homme. Certains estiment qu’il ne faut pas s’interroger sur les causes du terrorisme car cela reviendrait à lui trouver des excuses, et donc à le légitimer. Or, si l’on doit lutter efficacement contre le terrorisme, il convient de réfléchir à ses causes et ne pas prendre de décisions qui ont pour résultat d’en aggraver le mal. Un des objectifs de Daech est de creuser le fossé entre les musulmans et les non-musulmans. L’amalgame musulmans/terroristes, notamment dans certains pays occidentaux, y contribue. Seuls, les moyens militaires sont insuffisants et peuvent au contraire contribuer à le nourrir. La guerre d’Irak de 2003, qui devait combattre le terrorisme, a largement contribué à le développer. C’est la mise en place de solutions politiques aux conflits non résolus (lutter contre les régimes corrompus, éviter l’enlisement des conflits) qui est le meilleur remède.

Le terrorisme d’extrême droite, sur fond de haine des musulmans, peut aussi frapper comme à Utoya (Norvège, 2011). Christchurch (Nouvelle-Zélande, 2019) et Hanau (Allemagne, 2020). Aux États-Unis, les crimes de masse commis par des extrémistes de droite se multiplient.

Depuis 2016, Daech a perdu la quasi-totalité de son territoire. Son chef Abou Bakr al-Baghdadi a été tué en 2019. Mais sa mort, pas plus que celle de Ben Laden en 2011, ne signifie pas la fin du terrorisme.

Mais il reste capable de commettre des attentats sanglants dans de nombreux pays. Surtout, le terrorisme ne disparaîtra pas avec sa fin. Anéantir le terrorisme nécessite de s’attaquer également à ses causes.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 47 et 48

 

La compétition soviético-américaine ne se réduisait pas à un conflit idéologique. Celui-ci existait mais venait se superposer à une rivalité géopolitique classique entre les deux principales puissances issues de la Seconde Guerre mondiale. Même si l’Union soviétique n’avait pas eu un régime communiste, il eût été impossible pour les États-Unis de voir un pays contrôler l’ensemble du continent eurasiatique. Mais il était plus facile de mobiliser les soutiens intérieurs (opinion américaine) et extérieurs (peuples européens notamment) sur des motifs idéologiques (défense des libertés, de la démocratie) que sur des rivalités stratégiques (qui étendent son contrôle le plus loin possible). Les premiers sont venus masquer les secondes.

Pascal Boniface, La géopolitique, page 55

 

Le débat sur le « piège de Thucydide » (Thucydide’s trap) fait rage aux États-Unis, alimenté notamment par le livre d’un des plus grands géopolitologues américains, Graham Allison : Destined for war.

Ce dernier reprend l’analyse de l’historien grec Thucydide, qui lors des guerres du Péloponnèse remarquait que la guerre entre Sparte et Athènes était devenue inévitable : à partir du moment où Sparte, puissance dominante, mais en déclin, voulait empêcher d’être dépassée par Athènes, puissance dominée, mais en pleine ascension.

Un autre exemple peut être tiré des relations entre l’Allemagne et l’Angleterre qui ont conduit à la Première Guerre mondiale. L’Angleterre n’a pas voulu accepter la montée en puissance de l’Allemagne, dont le PIB a dépassé le sien en 1910. De façon générale, la guerre est-elle automatique entre deux pays lorsque la puissance numéro un, qui stagne, veut éviter d’être dépassée par la puissance dominée, mais qui se développe? La puissance dominante veut-elle à chaque fois empêcher par la force sa concurrente de la dépasser? G. Allison examine seize cas de ce type ; 12 d’entre eux menèrent à la guerre.

Le piège de Thucydide va-t-il se refermer sur les États-Unis et la Chine? La guerre est-elle inéluctable entre ces deux pays? Il n’existe aucune réponse type. Le fait qu’ils développent de fortes relations commerciales n’est pas suffisant pour évacuer toute perspective de conflit. L’Allemagne et la Grande-Bretagne étaient les principaux partenaires réciproques avant la Première Guerre mondiale. Les exemples historiques datent d’une époque où la dissuasion nucléaire n’existait pas, ce qui change obligatoirement la situation.

Mais, comme la Chine est destinée à dépasser le PIB américain avant 2050, l’un des sujets stratégiques majeurs, peut-être même le sujet majeur, sera l’articulation des relations entre Pékin et Washington, et la façon dont les États-Unis vont gérer leur rattrapage (et dépassement) par la Chine.

Au début des années 1970, Nixon et Kissinger avaient estimé que la montée en puissance de l’URSS et le déclin relatif des États-Unis rendaient indispensable de se lancer dans une politique de détente avec Moscou. Trump, lui, penche plus pour l’affrontement dans le cadre de sa relation avec Pékin. Aujourd’hui, les Américains nés après 1930 (c’est-à-dire pratiquement tous) n’ont jamais connu autre chose qu’un monde dominé par leur pays. De surcroît, ils estiment que leur pays a des valeurs supérieures à tous les autres, et surtout à un pays asiatique et communiste. Comment vont-ils vivre le rattrapage chinois?

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 77 et 78

 

Le Yémen sombre dans le chaos au point que l’ONU qualifie la situation actuelle de « plus grave crise humanitaire que le monde connaît actuellement ». Sur 27 millions d’habitants, on estime que près de 18 millions ont besoin d’aide alimentaire (soit 60% de la population) et que plus de 8 millions (dont la moitié d’enfants) sont au bord de la famine. Depuis avril 2017, le choléra aurait touché 1,2 millions de personnes. De plus, les bombardements de l’aviation saoudienne ont touché écoles et hôpitaux. Le rapport du Secrétaire général des Nations unies, rendu public le 5 octobre 2017, place pour la première fois la coalition militaire au sein des pays et entités ayant commis en 2016 des meurtres ou mutilations d’enfants. Les Occidentaux, malgré le malaise créé par les bombardements, évitent de s’exprimer, du fait de leurs liens avec l’Arabie saoudite.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 103 et 104

 

Mais la concurrence, qui fut la force de l’Europe, va constituer sa perte. Elle la conduit à la Première Guerre mondiale, qui est également présentée comme une guerre civile intra-européenne. Elle va, économiquement et démographiquement, affaiblir l’Europe. La Seconde Guerre mondiale sera la fin définitive de la domination européenne du monde. Vainqueurs et vaincus sont réunis dans la ruine, dominés et protégés à la fois par les États-Unis et l’Union soviétique. L’Europe n’est plus le centre du monde, mais l’enjeu de la compétition soviéto-américaine. Les empires coloniaux sont ébranlés et vont rapidement s’effondrer. Les États-Unis prennent cependant le relais du leadership international, toujours exercé au nom du monde occidental. La concurrence soviétique existe, mais n’est pas de nature à renverser cette suprématie.

Si la mondialisation des années 1990 a été vue comme une américanisation de la planète, de même que celle du XVIème siècle avait été vue comme son européanisation, les choses vont rapidement changer. Poussée démographiquement de l’Afrique, poussée économique de l’Asie, poussée stratégique du monde musulman, les remises en cause de la domination occidentale sont nombreuses. Les pays émergents ne peuvent être résumés aux seuls BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Cette catégorie contient des dizaines de pays non occidentaux.

Ces derniers ne demandent pas la permission aux pays occidentaux de se développer ; ils le font par eux-mêmes. Par ailleurs, ils n’acceptent plus que le monde occidental fixe seul, au nom de l’intérêt commun ou de l’universalité de ses valeurs, l’agenda et les règles internationales. Le monde occidental, habitué à diriger la manœuvre depuis cinq siècles, connaît donc une profonde remise en cause et doit faire face à une situation inconnue depuis des dizaines de générations.

La politique de Donald Trump, traitant les alliés européens de l’OTAN comme des vassaux, contribue à affaiblir La cohésion du « monde occidental ».

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 144 et 145

 

L’opinion publique pèse de son poids, évidemment dans les démocraties, mais également dans les régimes autoritaires. Mis à part la Corée du Nord (et peut-être l’Érythrée et le Rwanda), aucun régime ne peut se maintenir uniquement par la force et il est donc indispensable, si ce n’est d’avoir un soutien populaire, du moins de ne pas susciter un trop fort rejet. Le contrôle des moyens d’information par un régime n’est plus possible. À travers Internet, les sociétés civiles s’informent par elles-mêmes, échangent et se mobilisent. Les gouvernements ont perdu le monopole de l’information qu’ils détenaient auparavant. L’image étant devenue un élément important de la puissance, la bataille pour l’opinion en est réévaluée. L’immense supériorité militaire des Américains en Irak ou en Afghanistan n’est que d’un faible secours par rapport au rejet que suscite, dans une partie des opinions irakienne et afghane, leur présence militaire assimilée à une occupation. Tout gouvernement doit se battre sur deux niveaux : convaincre tout d’abord sa propre opinion qu’il mène une politique conforme à l’intérêt national, et ensuite l’opinion des autres pays que son action est compatible avec l’intérêt général. Les deux ne le sont pas toujours et, s’il doit faire un choix, un gouvernement jouera toujours la carte du soutien intérieur par rapport à l’approbation extérieure. Mais la réprobation internationale a un prix. L’impopularité de la politique extérieure des États-Unis durant les deux mandats de Georges W. Bush a débouché sur une très forte dégradation de leur image et un affaiblissement relatif de leurs positions. Il en va de même aujourd’hui avec Donald Trump.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 159 et 160

 

Deux erreurs ont été communément commises par rapport à la généralisation du système démocratique. Certains responsables politiques ou intellectuels occidentaux, procédant à un relativisme culturel, estimaient que les pays asiatiques ou africains n’étaient pas éligibles à la démocratie. L’autre erreur a été de vouloir l’imposer de l’extérieur, y compris par la force. Ces deux approches dénotaient un sentiment de supériorité. Elles ne prenaient pas en compte le fait que l’aspiration à la démocratie est un sentiment universel, mais dont la mise en œuvre correspond à des moments politiques internes, spécifiques à chaque nation.

Pascal Boniface, La géopolitique, pages 171 et 172

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