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29 décembre 2022

Alain Gallerand

Qu'est-ce que le transhumanisme

 

Titre : Qu’est-ce que le transhumanisme

Auteur : Alain Gallerand

Genre : Philosophie

Date : 2021

Pages : 123

Éditeur : Librairie Philosophique

Collection : Chemins philosophiques

ISBN : 978-2-7116-2996-1

 

Alain Gallerand est professeur de classes préparatoires, enseignant à l’Université Paul Valéry de Montpellier et membre associé du Laboratoire CRISES (E.A. 4424).

Le transhumanisme utilise les technologies pour augmenter les capacités humaines et repousser les limites naturelles. L'avènement d'un homme nouveau et amélioré, auquel le décryptage du génome humain donne un nouvel élan, soulève cependant d'importantes questions et notamment celle du droit de disposer librement de son corps.

 

Extraits

 

Dans ce débat passionné sur l’auto-transformation de l’homme et l’avenir de l’espèce humaine, trois tendances se dessinent. Le courant transhumanisme, dont Condorcet a été un précurseur en appelant de ses vœux une transformation matérielle de l’homme, est favorable à la prise en main de notre destin biologique au moyen des technologies les plus avancées. Ce qui est techniquement possible peut se faire et doit se faire, à partir du moment où l’individu considère que cela favorise son épanouissement personnel et son insertion sociale. Il n’y a aucune raison de continuer à vivre notre hérédité comme une fatalité, maintenant que nous connaissons les lois de l’hérédité et de l’évolution naturelle et que nous pouvons intervenir pour éliminer les facteurs indésirables et apporter les qualités désirables. Plus modéré, le courant libéral tolère cette auto-transformation technologique, au nom de la liberté individuelle et dans la limite du principe de non-nuisance, sans pour autant en faire un nouveau credo pour l’humanité. En revanche, parce qu’ils se méfient des avancées technologiques accusées d’éloigner l’homme de ses origines naturelles ou divines, les bioconservateurs sont farouchement hostiles à l’auto-transformation de l’homme. Toute immixtion dans un ordre naturel intrinsèquement bon ou rattaché à une volonté divine bienveillante, est nécessairement un bouleversement nuisible et illégitime. Le vivant en général et le corps humain en particulier sont des données naturelles sacrées qui exigent un respect absolu. C’est à ce dernier courant que se rattache le philosophe américain Michael J. Sandel quand il s’inquiète des incidences métaphysiques d’une reconfiguration de l’homme par l’homme.

Alain Gallerand, Qu’est-ce que le transhumanisme, pages 9 et 10

 

La restriction des libertés individuelles

Toutes les formes de libertés individuelles attachées à la personne humaine sont également menacées, au niveau social par l’instauration d’un conformisme, et au niveau biologique par l’ingérence des géniteurs dans les qualités de leur descendance. L’expansion des technologies amélioratrices pourrait bien instaurer ou renforcer un conformisme social. « Si une substance améliore les performances, ceux qui ne la prennent pas se trouveront désavantagés et se verront obligés d’en user, même s’ils ne le désirent pas. Leur autonomie sera ainsi violée » (1). Il s’agit là d’un phénomène d’entonnoir : quand la pression sociale est très forte, elle pousse la masse à se plier à ses normes et à se fondre dans le même moule. Aurons-nous encore vraiment le choix de rester à la marge, insensibles aux promesses d’amélioration, dans une société qui promeut la performance individuelle à tout-va et qui valorise la réussite dans des secteurs concurrentiels de plus en plus nombreux (sport, travail, scolarité, concours)? Si tout le monde autour de nous s’améliore, ne serons-nous pas emportés malgré nous dans cet élan technophile? Ne nous sentirons-nous pas « obligés » d’en faire autant pour rester compétitifs et éviter d’être déclassés et marginalisés à cause de notre infériorité? Car, en raison de ses multiples avantages physiques, esthétiques, intellectuels et affectifs, l’homme amélioré sera privilégié partout où règne la concurrence. Si l’amélioration devient un standard, il sera alors bien difficile de dire si l’usage des technologies amélioratrices répond à une aspiration personnelle authentique ou traduit le réponse conformiste à une pression sociale quasi-irrésistible.

(1) B. Baertschi, « Neuroamélioration », dans Encyclopédie, page 311

Alain Gallerand, Qu’est-ce que le transhumanisme, pages 34 et 35

 

La remise en cause de la justice sociale

Le projet transhumanisme soulève également des problèmes de justice sociale. Si l’amélioration devait être réservée à une minorité privilégiée en raison de con coût, les disparités sociales s’accentueront et les discriminations s’aggraveront. Quand l’homme augmenté est socialement avantagé dans tous les secteurs sociaux concurrentiels, les autres, qui ne peuvent ou ne veulent pas s’améliorer, sont de facto déclassés. Et si l’amélioration devait bénéficier exclusivement aux enfants dont les parents ont pu s’engager dans cette voie, le principe fondateur des droits de l’homme (les hommes naissent libres et égaux en droit) risque fort de tomber en désuétude, puisque l’humanité se scinderait alors en deux classes, les hommes améliorés, appelés à diriger en raison de leur supériorité, et les autres, appelés à obéir en raison de leur infériorité. Les gens implantés ou hybridés, annonce Kevin Warwick, sont appelés à devenir les maîtres du monde ; comparés à cette élite cyber-équipée, les autres ne seront plus que des animaux domestiques « pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré » (1). « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer [en fusionnant avec la machine] auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés de demain » (2).

En outre, les bioconservateurs considèrent que, dans tous les secteurs concurrentiels où plusieurs personnes sont en situation de rivalité (concours, recrutement professionnel, projet matrimonial…), l’amélioration technologique est à la fois une injustice sociale, puisqu’elle privilégie a priori les uns au détriment des autres, et une tricherie morale puisque les avantages artificiels dont bénéficie la personne améliorée sont totalement indépendants de son travail, de ses efforts, de ses qualités intrinsèques et donc de son mérite.

(1) Article de Cécile Lestienne, L’OBS, 19 novembre 2016.

(2) Article de Christophe Boltanski, Libération, 11 mai 2002.

Alain Gallerand, Qu’est-ce que le transhumanisme, pages 35 et 36

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