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La pilule rouge
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8 septembre 2018

Michel Onfray

 

 

Michel Onfray 2

Michel Onfray est un philosophe et essayiste français qui défend une vision du monde hédoniste, épicurienne et athée. En 2002, à la suite de la montée du Front national, parti politique d'extrême droite, lors de l'élection présidentielle, il quitte sa carrière d'enseignant pour créer l'université populaire de Caen où il délivre pendant treize ans un cours intitulé « contre-histoire de la philosophie » retransmis sur France Culture. Sa portée médiatique est renforcée par des interventions régulières en TV ou radio où il s'exprime au sujet de débats politiques et sociaux. Michel Onfray est un auteur fécond avec plus de quatre-vingts ouvrages publiés. Sa pensée est principalement influencée par des philosophes tels que Nietzsche et Épicure, par l'école cynique, par le matérialisme français et par l'anarchisme proudhonien. En raison de ses prises de positions parfois controversées, il est régulièrement au centre de polémiques.

 

 

 

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Titre : Cosmos

 Auteur : Michel Onfray

 Genre : Philosophie

 Date : 2015

 Pages : 533

 Éditeur : Flammarion

 Collection : -

 ISBN : 978-2-0812-9036-5

 

Cosmos est le premier volume d'une trilogie intitulée "Brève encyclopédie du monde". Il présente une philosophie de la nature. Il sera suivi de "Décadence", qui traitera de l'histoire, puis de "Sagesse", consacré à la question de l'éthique et du bonheur. "Trop de livres se proposent de faire l'économie du monde tout en prétendant nous le décrire. Cet oubli nihiliste du cosmos me semble plus peser que l'oubli de l'être. Les monothéismes ont voulu célébrer un livre qui prétendait dire la totalité du monde. Pour ce faire ils ont écarté des livres qui disaient le monde autrement qu'eux. Une immense bibliothèque s'est installée entre les hommes et le cosmos, et la nature, et le réel". Tel est le point de départ de ce livre, dans lequel Michel Onfray nous propose de renouer avec une méditation philosophique en prise directe avec le cosmos. Contempler le monde, ressaisir les intuitions fondatrices du temps, de la vie, de la nature, comprendre ses mystères et les leçons qu'elle nous livre. Tel est l'ambition de ce livre très personnel, qui renoue avec l'idéal grec et païen d'une sagesse humaine en harmonie avec le monde.

 

 

Extraits :

Dès lors, quand le gadjo met son réveil à sonner le matin, prend sa douche, se toilette, s’habille, se rend à son travail non sans avoir regardé sa montre dix fois ou écouté l’heure donnée par sa radio vingt fois, quand il travaille à des choses inutiles, inessentielles, sans intérêt, sans vraies bonnes raisons, quand il mange rapidement, de mauvaises nourritures, quand il reprend le travail l’après-midi pour sacrifier encore de longues heures à des tâches laborieuses, répétitives, productives d’absurdité ou de négativité, quand il voit venu le temps de  rentrer chez lui et qu’il s’entasse dans les transports en commun, s’enferme dans sa voiture pour de longs moments perdus dans les bouchons et les embouteillages, quand il rentre chez lui, épuisé, fatigué, harassé, quand il mange machinalement d’autres aliments insipides, qu’il s’affale devant sa télévision pour de longues heures de bêtises ingurgitées, quand il se couche abruti par ce qu’il a mangé, vu, entendu, il remet son réveil à sonner pour le lendemain matin où il répétera cette journée et ce pendant des années – quand il fait tout ça, le gadjo se dit civilisé.

Michel Onfray, Cosmos, pages 76 et 77

 

Le colonialisme a voulu mater cette puissance nègre avec des massacres, des tortures, des ethnocides, des génocides, des populicides, il a détruit des corps mais aussi des villages, des pratiques, des langues, des coutumes, des rites, des façons d’être et de faire, de penser et de parler, de vivre et de mourir, de souffrir et de sentir. Les religions musulmane et chrétienne, grandes pourvoyeuses de traite d’esclaves, de culpabilisation des corps, de putréfaction des âmes, de mépris des chairs noires, ont fonctionné de conserve avec les colons. Le sabre des uns, le goupillon des autres. On a jeté au feu des fétiches, des masques, des objets rituels, on a souillé les autels où les peuples célébraient leurs ancêtres.

Ce que l’homme dit civilisé a fait à celui qu’il appelait barbare a été barbarie. Les pouvoirs civils et militaires, toujours complices, n’ont jamais aimé la vie que l’Afrique aime jusque dans la mort. Les religions du Livre n’aiment et ne célèbrent que ce qui n’aime pas la vie. Elles ont considérablement saigné les peuples vivants, dionysiaques, pour en faire des populations exsangues, apolliniennes. Transformer les objets rituels en art nègre coïncide avec l’épuisement de ces peuples par le christianisme et l’islam. Vouloir et offrir le Louvre à un masque africain, c’est offrir un mausolée aux trophées d’après la bataille gagnée contre les peuples noirs. Peindre l’art nègre à Saint-Germain-des-Prés, danser l’art nègre à Montparnasse, piller l’art nègre pour le musée de l’Homme, romancer l’art nègre, fictionner en film l’art nègre, vouloir un grand musée, le Louvre ou un autre, le Quai-Branly aujourd’hui, pour l’art nègre, c’est faire entrer le fleuve Niger en crue dans le chas d’une aiguille. On peut s’y évertuer ; on peut aussi préférer prendre des leçons nègres en voulant partout le soleil là où triomphe la nuit des civilisations.

Michel Onfray, Cosmos, pages 224 et 225


Le christianisme nous a privés du cosmos païen en le travestissant, en l’habillant avec des histoires orientales, des fables méditerranéennes, des mythes égyptiens, des allégories juives, des symboles gnostiques, des métaphores millénaristes, des collages babyloniens, sumériens, mazdéens, perses. Il nous prive du cosmos réel et nous installe dans un monde de signes qui ne font plus sens alors qu’avant lui le sens était fait par les signes cosmiques. Là où il fallait voir du concret, le judéo-christianisme a installé du symbole : il a aboli la vérité immanente des rythmes lunaires et solaires, des déplacements de constellations, des significations stellaires, des cadences de jours et de saisons au profit d’une histoire extravagante d’un enfant né d’un père qui n’était pas son géniteur, d’un nouveau-né conçu et porté par une mère qui était vierge, inséminé par un esprit saint ayant pris la forme d’une colombe, d’un homme qui ne mangeait ni ne buvait que des symboles et n’a jamais montré qu’il subissait les lois corporelles les plus triviales (digérer, roter, déféquer, copuler…), d’un thaumaturge qui ressuscite les morts et joint lui-même le geste à la parole en mourant puis en ressuscitant le troisième jour et en grimpant directement au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu – son autre père, le vrai.

Enfouies sous les couches chrétiennes, les vérités païennes ont disparu : la substantifique moelle des paysans qui connaissaient la nature et l’invoquaient pour en obtenir les faveurs a été remplacée par un récit métaphorique et alambiqué construit comme un conte à dormir debout. Il s’agissait de séduire un peuple inculte en lui racontant des histoires. Le merveilleux a servi d’excipient pour faire passer le breuvage amer de la religion qui détourne toujours le spirituel vers le temporel afin de permettre au Roi, aidé par son clergé, d’utiliser la peur de l’au-delà pour justifier ici-bas obéissance, soumission, docilité et servitude.

Michel Onfray, Cosmos, pages 364 et 365

 

Or, la mort emporte tout : le printemps n’est pas revenu chez les paysans quand sont arrivées les premières machines. Le cheval a disparu, remplacé par le tracteur, l’odeur du  crottin a laissé place à celle du fuel, le bruit des naseaux de l’animal au vacarme du moteur, la complicité avec la bête à l’asservissement à la machine. Les instruments fabriqués par l’intelligence et la main des hommes des millénaires en amont supposaient des gestes immémoriaux, semer, labourer, récolter, ils ont disparu, engloutis dans le néant – Virgile est mort écrasé sous les pneus d’un tracteur agricole.

Biquefarre raconte en 1983 cette histoire d’un changement de monde. Les puits dans lesquels les ancêtres puisaient l’eau ne servent plus, ils ont été bouchés ; le four dans lequel le pain était cuit a été abandonné ; l’étable ancienne a laissé place à une stabulation dernier cri, la machine à traiter dispense de la traite millénaire  qui supposait le contact entre la main de l’homme et le pis de la vache ; les porcs ne mangent plus les restes de la famille, mais des granulés dont on ignore la composition ; les autres animaux eux aussi ingèrent des aliments médicamenteux ; le potager qui servait à la subsistance de la famille a été rasé, sur l’espace libéré, la  nouvelle génération a fait construire une maison d’agglo et de ciment sans âme ; les soirées auprès du feu, les veillées où tous se retrouvaient et parlaient ont disparu au profit de la télévision devant laquelle les solitudes s’additionnent ; on parle d’ordinateur à la ferme ; les marchands de vaches font la loi, ils agissent, pensent et décident avec le cynisme des banquiers ; le marché s’est mondialisé, la petite commune qui fonctionnait en autosubsistance se trouve désormais en relation commerciales avec la Nouvelle-Zélande ; les engrais sont répandus partout et intoxiquent le paysan qui les diffuse, ils polluent sols et sous-sols, rentabilité oblige ;  les animaux, les insectes meurent en quantité après le passage du pulvérisateur ; les tracteurs sont désormais la seule force de traction ; le téléphone a connecté tout le monde ; le camion laitier vient chaque jour récupérer le lait pour l’emporter à l’usine ; plus personne ne parle l’occitan ni ne comprend les anciens qui le parlaient ; l’agriculture intensive  transforme les paysans  en entrepreneurs, les agriculteurs en industriels soucieux du moindre coût et du bénéfice maximal ; les églises sont vides, les hommes et les femmes sont mélangés lors des offices ; le fils cadet, écarté de l’héritage du patrimoine réservé à l’aîné, fait des études de médecines ; les poissons crevés passent sur le dos dans la rivière, intoxiqués par les produits chimiques pulvérisés pour augmenter les rendements à l’hectare ; les escargots eux aussi ont disparu, emportés par l’hécatombe chimique ; les cèpes jadis séchés, enfilés sur un fil tendu dans la cuisine, sont maintenant congelés ; la tonte des moutons s’effectue avec du matériel électrique, il s’agit d’aller vite ; l’ensilage de maïs oblige les paysans à nourrir leur bétail avec cette alimentation fermentée, pourrie, corrompue, moins coûteuse en temps et en argent que le foin de jadis ; le goût du lait est à l’avenant.

L’âtre de Farrebique a laissé place à la tondeuse électrique pour les moutons de Biquefarre. Virgile, qui est mort, a laissé place au chimiste. La rentabilité, l’argent, la productivité, le rendement, le bénéfice, le gain sont devenus les horizons ontologiques de la nouvelle génération. Elle s’est rebellée, Mai 68 a eu lieu, elle a compris que la hiérarchie, le vieux monde, la tradition avaient fait leur temps. Elle a raison. Mais faut-il pour autant sacrifier aux nouvelles idoles : la machine, le moteur, l’électricité, la chimie, l’industrie, le profit? L’ancienne pulsion de vie indexée sur les mouvements du cosmos a laissé place à la pulsion de mort indexée sur les mouvements du marché. Plus aucun paysan ne peut plus comprendre Les Géorgiques de Virgile, et tous doivent lire les rapports des banquiers, les instructions techniques des ingénieurs-conseils, la législation des bureaucrates européens.

La vie de Farrebique n’était pas heureuse, joyeuse, ludique, enchantée ; celle de Biquefarre ne l’est pas plus. Deux paysans du nouveau monde sans cosmos se suicident chaque jour. Les  fermes disparaissent. La situation a empiré. Ceux qui, dans leurs champs et leurs près, sur le seuil de leurs fermes, dans leurs parcelles, leurs petits bois, non loin de leurs ruisseaux, de leurs mares, des rivières, en compagnie de leurs troupeaux de vaches ou de moutons, dans leur basse-cour, pensaient, agissaient en vigie du cosmos ancien, ceux-là ne sont plus – ou presque plus.

Michel Onfray, Cosmos, pages 395 et 397

 

 

 

 

 

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