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La pilule rouge
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15 octobre 2022

Edward Bernays

Edward Bernays

Edward Bernays (1891-1995), neveu de Sigmund Freud émigré aux Etats-Unis, fut l'un des pères fondateurs des "relations publiques". Conseiller pour de grandes compagnies américaines, Bernays a mis au point les techniques publicitaires modernes. Au début des années 1950, il orchestra des campagnes de déstabilisation politique en Amérique latine, qui accompagnèrent notamment le renversement du gouvernement du Guatemala, main dans la main avec la CIA.

 

Propaganda

Titre : Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie

Auteur : Edward Bernays

Genre : Psychologie sociale

Date : 1928

Pages : 130

Éditeur : Lux

Collection : -

ISBN : 978-2-89596-063-8

 

« Le manuel classique de l’industrie des relations publiques », selon Noam Chomsky. Véritable petit guide pratique écrit en 1928 par le neveu américain de Sigmund Freud, Propaganda expose sans détours les grands principes de la manipulation mentale de masse que Bernays appelait la « fabrique du consentement ».

Comment imposer une nouvelle marque de lessive ? Comment faire élire un président ? Dans la logique des « démocraties de marché », ces questions se confondent. Dans ces sociétés, constate Edward Bernays, le pouvoir appartient à celui qui contrôle adéquatement les moyens d’influencer l’opinion. La démocratie moderne implique ainsi une nouvelle forme de gouvernement invisible : les relations publiques. Loin d’en faire la critique, l’auteur se propose au contraire d’en perfectionner et d’en systématiser les techniques à partir des acquis de la psychanalyse.

Un document édifiant où l’on apprend que la propagande politique moderne n’est pas née dans les régimes totalitaires, mais au cœur même de la démocratie libérale américaine. Incontournable en une époque où les modes de vie, autant que les opinions politiques, deviennent une affaire de perception.

Edward Bernays (1891-1995) fut l’un des pères fondateurs des « relations publiques » aux États-Unis. Conseiller pour de grandes compagnies américaines, dont GE, Procter Gamble et l’American Tobacco Company, Bernays a mis au point les techniques publicitaires modernes.

 

Extraits :

Tout commence quand, au début de l’année 1913, une des revues dont s’occupe Bernays et son ami (la Medical Review of Reviews) publie une critique très élogieuse d’une pièce d’Eugène Brieux : Damaged Goods (1). Cette pièce raconte l’histoire d’un homme qui contracte la syphilis, mais cache ce fait à sa fiancée : il l’épouse et celle-ci met ensuite au monde leur enfant syphilitique. Cette pièce brisait deux puissants tabous : le premier, en parlant ouvertement de maladies sexuellement transmissibles, le deuxième, en discutant des méthodes de santé publiques pouvant être utilisées pour les prévenir. C’est évidemment cette audace qui avait séduit l’auteur de la recension et incité Bernays et son ami à la publier dans leur revue, malgré les vives critiques que cette décision allait immanquablement susciter.

Dans les semaines qui suivent, Bernays apprend qu’un acteur célèbre, Richard Bennett (1872-1944), souhaite monter la pièce et que cette décision suscitera certainement une levée de boucliers de personnalités et d’organismes conservateurs. Bernays s’engage alors auprès de Bennett à faire jouer la pièce et même à prendre en charge les coûts de sa production. Pour y parvenir, il va inventer une technique qui reste une des plus courantes et des plus efficaces des relations publiques, une stratégie qui permet de transformer ce qui paraît être un obstacle en une opportunité et de faire d’un objet de controverse un noble cheval de bataille que le public va, de lui-même, s’empresser d’enfourcher. La technique qui permet une telle métamorphose de la perception qu’à le public d’un objet donné consiste à créer un tiers parti, en apparence désintéressé, qui servira d’intermédiaire crédible entre le public et l’objet de la controverse et qui en modifiera la perception.

Misant sur la célébrité de Bennett, sur la respectabilité de la revue et sur sa mission médicale et pédagogique, Bernays va ainsi mettre sur pied le Socological Fund Committee de la Medical Review of Reviews. Son premier mandat sera bien entendu de soutenir la création de Damaged Goods. Des centaines de personnalités éminentes et respectées vont payer pour faire partie de cet organisme et leurs cotisations vont permettre à Bernays de tenir sa promesse de faire jouer la pièce, désormais perçue comme une méritoire œuvre d’éducation publique sur un sujet de la plus haute importance. Damaged Goods connaîtra un immense succès populaire et les critiques en seront on ne peut plus élogieuses.

(1)    Eugène Brieux (1858-1932) est un dramaturge français qui a connu un grand succès populaire au début du XXème siècle. Damaged Goods est la traduction de Les Avariés, une pièce de 1901.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages IV et V

 

Bernays n’est sans doute pas le seul à pratiquer ce nouveau métier durant les booming twenties. Mais il se distingue nettement de ses confrères par trois aspects. Le premier est l’énorme et souvent spectaculaire succès qu’il remporte dans les diverses campagnes qu’il mène pour ses nombreux clients. La deuxième tient au souci qu’il a d’appuyer sa pratique des relations publiques à la fois sur les sciences sociales (psychologie, sociologie, psychologie sociale et psychanalyse, notamment) et sur diverses techniques issues de ces sciences (sondages, interrogation d’experts ou de groupes de consultation thématique, et ainsi de suite). Le troisième est son ambition de fournir un fondement philosophique et politique aux relations publiques et des balises éthiques à leur pratique. C’est par cette double visée que Bernays reste le plus original des théoriciens et praticiens des relations publiques.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages XI et XII

 

Mais on peut soutenir que le succès le plus retentissant de Bernays sera d’avoir amené les femmes américaines à fumer. Cet épisode, si éclairant sur sa manière de penser et de travailler, mérite d’être raconté en détail.

Nous sommes toujours en 1929 et, cette année-là, George Washington Hill (1884-1946), président de l’American Tobacco Co., décide de s’attaquer au tabou qui interdit à une femme de fumer en public, un tabou qui, théoriquement, faisait perdre à sa compagnie la moitié de ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son côté, consulte aussitôt le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premières personnes à exercer cette profession aux États-Unis. Brill explique à Bernays que la cigarette est un symbole phallique représentant le pouvoir sexuel du mâle : s’il était possible de lier la cigarette à une forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en possession de leurs propres pénis, fumeraient.

La ville de New York tient chaque année, à Pâques, une célèbre et très courte parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeune femmes avaient caché des cigarettes sous leurs vêtements et, à un signal donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journalistes et des photographes qui avaient été prévenus que des suffragettes allaient faire un coup d’éclat. Dans les jours qui suivirent, l’évènement était dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Les jeunes femmes expliquèrent que ce qu’elles allumaient ainsi, c’était des « flambeaux de la liberté » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait donné le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait inventé ce slogan ; comme on devine aussi qu’il s’était agi à chaque fois de la même personne et que c’est encore elle qui avait alerté les médias.

Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute personne adhérant à la cause des suffragettes serait également, dans la controverse qui ne manquerait pas de s’ensuivre sur la question du droit des femmes de fumer en public, du côté de ceux et de celles qui le défendaient – cette position étant justement celle que les cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette nouvelle clientèle allaient exploser.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages XIII et XIV

 

Un de ses maîtres à penser sur ce plan – et revendiqué comme tel – est le très influent Walter Lippmann (1889-1974) – en dialogue avec lequel certains ouvrages de Bernays semblent avoir été écrits. En 1922, dans Public Opinion, Lippmann rappelait que « la fabrication des consentements […] fera l’objet de substantiels raffinements » et que « sa technique, qui repose désormais sur l’analyse et non plus un savoir-faire intuitif, est à présent grandement améliorée [par] la recherche en psychologie et [les] moyens de communication de masse (1) ». Comme en écho, Bernays écrit ici :

      L’étude systématique de la psychologie des foules a mis au jour le potentiel qu’offre au gouvernement invisible de la société la manipulation des mobiles qui guident l’action humaine dans un groupe. Trotter et Le Bon d’abord, qui ont abordé le sujet sous un angle scientifique, Graham Wallas, Walter Lippmann et d’autres à leur suite, qui ont poursuivi les recherches sur la mentalité collective, ont démontré, d’une part, que le groupe n’avait pas les mêmes caractéristiques psychiques que l’individu, d’autre part, qu’il était motivé par des impulsions et des émotions que les connaissances en psychologie individuelle ne permettaient pas d’expliquer. D’où naturellement, la question suivante : si l’on pervient à comprendre le mécanisme et les ressorts de la mentalité collective, ne pourrait-on pas contrôler les masses et les mobiliser à volonté sans qu’elles s’en rendent compte?

(1)    Walter Lippmann, Public Opinion, New York, Harcourt Braceand Compagny, 1922, chapitre XV, section 4.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages XIV, XV et 35

 

Ce livre se propose d’expliquer la structure du mécanisme de contrôle de l’opinion publique, de montrer comment elle est manipulée par ceux qui cherchent à susciter l’approbation générale pour une idée ou un produit particulier. Il s’efforcera dans le même temps de préciser la place que cette nouvelle propagande devrait occuper dans le système démocratique moderne, et de donner un aperçu de l’évolution progressive de son code moral et de sa pratique.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, page 9

 

L’instruction généralisée devait permettre à l’homme du commun de contrôler son environnement. À en croire la doctrine démocratique, une fois qu’il saurait lire et écrire il aurait les capacités intellectuelles pour diriger. Au lieu de capacités intellectuelles, l’instruction lui a donné des vignettes en caoutchouc, des tampons encreurs avec des slogans publicitaires, des éditoriaux, des informations scientifiques, toutes les futilités de la presse populaire et les platitudes de l’histoire, mais sans l’ombre d’une pensée originale. Ces vignettes sont reproduites à des millions d’exemplaires et il suffit de les exposer à des stimuli identiques pour qu’elles s’impriment toutes de la même manière. Il peut paraître abusif d’affirmer que le grand public américain doit la plupart de ses idées à une technique de vente en gros. Le mécanisme qui permet la diffusion à grande échelle des idées a nom propagande : soit, au sens large, tout effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, page 12

 

La propagande moderne désigne un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des évènements dans l’objectif d’influencer les rapports du grand puclic avec une entreprise, une idée ou un groupe. Cette pratique qui consiste à déterminer les circonstances et à créer simultanément des images dans l’esprit de millions de personnes est en réalité très courante. […] Ce qu’il faut retenir, c’est d’abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu’au bout du compte elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats. Les gens susceptibles d’être ainsi mobilisés sont légion, et une fois enrégimentés ils font preuve d’une telle opiniâtreté qu’ils exercent collectivement une pression irrésistible sur le législateur, les responsables de journaux et le corps enseignant. Leur groupe défend bec et ongles ses « stéréotypes », ainsi que les appelle Walter Lippmann (1), et transforme ceux de personnalités pourtant éminentes (les leaders de l’opinion publique) en bois flotté emporté par le courant.

(1)    Walter Lippman (1889-1974), journaliste et théoricien des « relations publiques », auteur de Public Opinion (1922)

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages 15 et 16

 

Il n’y a pas si longtemps, les rédacteurs de presse s’offusquaient de ce qu’ils appelaient « l’utilisation des colonnes des journaux à des fins de propagande ». D’aucuns se disaient prêts à éliminer un bon papier qu’ils auraient soupçonné de servir des intérêts particuliers. Cette façon de voir a encore ses partisans. Aujourd’hui, les directeurs de rédaction estiment cependant que la valeur informative des articles qui leur sont soumis est le premier critère sur lequel fonder la décision de les publier. Il n’est ni dans les attributions ni de la responsabilité d’un journal de garantir que rien de ce qu’il publie ne sert les intérêts de qui que ce soit. On aurait d’ailleurs du mal à dénicher dans n’importe quel quotidien un paragraphe totalement neutre, ne pouvant profiter ou nuire à personne. Telle est la dure loi de l’actualité. Le journal a en revanche la responsabilité de vérifier, premièrement, que les nouvelles qu’il publie sont exactes et, deuxièmement (puisqu’il faut bien opérer un tri entre toutes celles qui lui parviennent chaque jour), que des groupes très larges de lecteurs les trouvent intéressantes et importantes.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, page 124

 

Dans notre monde contemporain, le cinéma est à son insu la courroie de transmission la plus efficace de la propagande. Il n’a pas son pareil pour propager idées et opinions. Le cinéma a le pouvoir d’uniformiser les pensées et les habitudes de vie de toute la nation. Les films étant conçus pour répondre aux demandes du marché, ils reflètent, soulignent, voire exagèrent les grandes tendances populaires, au lieu de stimuler l’apparition de nouvelles manières de voir et de penser. Le cinéma ne sert que les idées et les faits à la mode. Tandis que le journal a pour vocation d’informer, le cinéma a pour vocation de distraire.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, pages 127 et 128

 

La propagande ne cessera jamais d’exister. Les esprits intelligents doivent comprendre qu’elle leur offre l’outil moderne dont ils doivent se saisir à des fins productives, pour créer de l’ordre à partir du chaos.

Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie, page 130

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