Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La pilule rouge
Newsletter
12 février 2023

Edward S. Herman

Edward Herman

Edward S. Herman est professeur émérite de finance à la Wharton School (University of Pennsylvania). Économiste et analyste des médias de renommée internationale, proche collaborateur de Noam Chomsky, il est ­l’auteur de nombreux ouvrages.

 

Génocide et propagande

Titre : Génocide et propagande – L’instrumentalisation politique des massacres

Auteur : Edward S. Herman et David Peterson

Genre : Psychologie sociale

Date : 2010

Pages : 141

Éditeur : Lux

Collection : Futur proche

ISBN : 978-2-89596-130-7

 

Résumé sur le livre :

Depuis la fin de la guerre froide, les termes « massacre », « bain de sang » et « génocide » ont massivement fait irruption dans le vocabulaire des relations internationales. Ils sont devenus essentiels à la justification des interventions militaires occidentales, que ce soit au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, en Irak ou en Libye.

En politique, rappellent Edward S. Herman et David Peterson, les mots ne sont pas innocents. Le sens qu’on leur donne est fonction des buts que l’on poursuit et des intérêts que l’on défend. En étudiant de manière rigoureuse l’usage de ces trois termes dans les discours officiels et les médias, les auteurs démontrent qu’ils sont principalement utilisés pour qualifier les agissements de pays qui, d’une manière ou d’une autre, sont en conflit d’intérêts avec les États-Unis. Très rare est leur usage pour parler des exactions commises par ces derniers et leurs alliés.

Que faut-il en conclure ? Qu’en plus de leur précision chirurgicale, les missiles américains ont la faculté de juger du bien pour ne s’attaquer qu’à l’infâme, au vil, au néfaste ? Ou alors, que la « responsabilité de protéger », évoquée pour justifier les interventions militaires à vocation « humanitaire » de l’Occident, n’est que le nouvel emblème d’un impérialisme plus vigoureux que jamais ?

 

Extraits :

Force est de reconnaitre la pertinence de la fameuse maxime de Thucydide : « Tel que va le monde, le droit n’est en question qu’entre égaux en puissance, tandis que le plus fort fait ce que bon lui semble et que les plus faibles subissent ce qui leur échoit. » Ça, c’est le principe fondamental sur lequel repose l’ordre du monde.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, page 13

 

Il est absolument vital, pour la pérennité d’un monde placé sous la férule de la loi du plus fort, que les puissances militaires qui disposent des moyens d’une extrême violence disposent aussi d’un vaste répertoire de pseudo-justifications à mettre en avant chaque fois qu’il leur faut nier la barbarie de leurs pratiques courantes.

« La mission de la coalition conduite par la France était de prévenir le massacre de civils dans les villes libyennes », déclara le « guerrier humaniste » engagé Bernard-Henry Lévy, à l’antenne de Reuters Télévision le jour de l’exécution de Mouammar Kadhafi. « En conséquence, c’était de réduire, d’empêcher de nuire, de capturer et d’arrêter celui qui était l’organisateur de ce massacre de civils. Aujourd’hui, c’est chose faite (1). »

En réalité, ce que les puissances occidentales ont fait, c’est dévaster un pays entier, massacrer et déplacer un très grand nombre de civils, et laisser la Libye sans leader et totalement désorganisée – un État en déliquescence (2).

Les raisons pour lesquelles l’establishment américain et les institutions occidentales sont prêts à saisir au vol la moindre chance de diaboliser puis de renverser un régime tel que celui de Mouammar Kadhafi, et ce, au nom de la protection des civils, alors qu’à d’autres moments ils ont sciemment ignoré la massacre de certaines populations, sont cependant très claires. Ce sont les exigences et les intérêts des puissances impériales occidentales qui sont à l’origine de cette dichotomie systématique dans le traitement de cas pourtant en apparence similaires.

Dans les cas que nous venons de comparer comme dans une multitude d’autres, les médias remarquent ce que l’on pourrait appeler le modèle type du département d’État américain. Dans ce modèle type, tandis que les dirigeants des pays visés sont présentés comme dangereux ou mal intentionnés, et donc diabolisés, les dirigeants des pays alliés ou clients sont pour leur part au pire réprimandés pour quelque regrettable indiscrétion, leurs délits étant totalement occultés, minorés ou placés dans un contexte de circonstances atténuantes.

(1)    « Key Sarkosy Libya Advisor Says Gadhafi Dictatorship and War Are Now Over », Reuters Television, 20 octobre 2011.

(2)    En Anglais failed state, l’un des termes fétiches de l’administration américaine ces dernières années, avec rogue state ou « État voyou », deux types d’État dont les grandes puissances ne sont pas tenues de respecter la souveraineté, jugée sans valeur.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, pages 26 et 27

 

L’historique des crimes des grandes puissances – crimes contre la paix, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, nettoyages ethniques et autres génocides – montre assez bien combien le racisme demeure au centre de tout projet impérial. Les puissants, ceux qui sont au cœur même de ce projet, ont toujours été plutôt blancs et européens ou nord-américains et leurs victimes plutôt non occidentales. La conquête des Amériques et l’éradication de leurs populations indigènes se sont ainsi poursuivies pendant des décennies, soulevant des réticences pour le moins modérées de la part du monde chrétien moralement si éclairé. Dans la traite négrière, la capture et la traversée de l’océan firent à elles seules des millions de morts, pour ne rien dire du sort fait aux survivants. En Afrique même, les massacres à répétition et l’écrasement de toute résistance reposaient sur « la conviction inébranlable de la supériorité innée de la race blanche […], creuset par excellence de l’attitude impérialiste »; une conviction sans laquelle les pratiques de massacres de masse ne pourraient nous sembler « moralement acceptables », écrit John Ellis. « Au mieux, les Européens regardaient-il ceux qu’ils massacraient avec à peine plus qu’un simple dédain amusé (1). » Cette dynamique s’est toujours accompagnée d’un processus de projection par lequel les victimes de massacres et de dépossession étaient représentées comme « d’impitoyables sauvages » (Déclaration d’indépendance des États-Unis), par les sauvages racistes qui les massacraient et qui tenaient seulement de leur supériorité en terme d’armes, d’avidité et de brutalité, le potentiel de conquête, de destruction et d’extermination qui était le leur.

(1)    John Ellis, The Social History of the Machine Gun, New York, Pantheon, 1973, page 101.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, page 39

 

Les institutions dominantes sont sans doute aujourd’hui bien plus complexes qu’elles ne l’étaient il y a 500 ou 5000 ans, mais elles ne fonctionnent en réalité guère différemment de celles qui les ont précédées au cours des âges. Tous les grands agresseurs projettent leurs pires défauts sur leurs victimes (les « terroristes », « militants », « fascistes » religieux et autres « nettoyeurs ethniques » des chaînes d’information en continu), tandis qu’eux-mêmes exterminent à des milliers de kilomètres de chez eux au nom de la partie ou de la liberté. La diabolisation des véritables victimes et une gestion efficace des atrocités commises demeurent une constante qui permet de garder les habitants des puissances impériales suffisamment désinformés pour soutenir avec enthousiasme les grandes périodes de massacres. Le chemin qui va du « fardeau de l’homme blanc » aux régimes sélectifs de « droits de l’homme » et de « justice internationale » est en réalité bien plus direct que ne sauraient l’admettre ceux qui le parcourent aujourd’hui. Les Occidentaux de gauche suivent les mêmes étendards que leurs adversaires de droite (1), et lorsqu’ils héritent du même ordre du jour sanguinaire fraîchement estampillé « Le changement auquel nous pouvons croire », ils sont tout aussi va-t-en guerre (2).

(1)    Richard Seymour, The Liberal Defense of Murder, New York, Verso, 2008.

(2)    Selon Marc W. Herold, de New Hampshire University : « Le Pentagone d’Obama s’est avéré bien plus meurtier pour les civils d’Afghanistan que celui de Bush au cours des mêmes mois de 2008. Entre janvier et juin 2008, quelques 278-343 civils afghans ont été tués par les forces de l’ONU, mais au cours des mêmes mois sous l’équipe Obama, ce chiffre est passé à 520-630. » (« Afghanistan : Obama’s Unspoken Trade-Off », Frontline. 29 août – 11 septembre 2009.) Herold ajoute que sous Obama, deux autres choses ont changé : la prépondérance des attaques aériennes de l’ONU à céder le pas aux attaques des forces terrestres ; et le « visage public de la guerre » est lui aussi passé d’un George W. Bush totalement discrédité à quelqu’un de beaucoup plus habile dans le maniement du langage et de l’imagerie de la gauche américaine.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, pages 39 et 40

 

Cette profonde partialité apparait clairement dans le traitement médiatique des évènements évoqués dans le tableau 1.1 (page 53), qui illustre l’utilisation du mont « génocide » dans la presse au sujet du régime des sanctions en Irak, puis de l’invasion/occupation de 2003, entre autres massacres de masse. Ce tableau montre que le mot « génocide » n’apparait que 80 fois en lien avec le régime des sanctions, tandis que pour la Bosnie, le Kosovo, le Rwanda et le Darfour, 4 cas de massacres néfastes, il apparait respectivement 481 fois, 323 fois, 3199 fois et 1172 fois, bien que le nombre des victimes soit de loin supérieur en Irak à ce qu’il est dans les autres cas, à l’exception du Rwanda. S’agissant du Congo, un massacre bénin de 5 millions de victimes, il apparait seulement 17 fois.

Le décalage devient flagrant si l’on prend la période des sanctions économiques irakiennes comme période de référence. Dans la colonne 4 du tableau 1.1, les 80 fois où le mot « génocide » apparait dans la presse pour décrire cette période correspondent ici au chiffre 1. Les portions pour chacun des 6 cas de massacre de masse sont alors de 0.2 pour l’invasion/occupation de 2003-2009 (on a donc 5 fois moins utilisé le mot « génocide » pour décrire cette période que pour décrire celle des sanctions), 6 pour la Bosnie (soit 6 fois plus), 4 pour le Kosovo, 40 pour le Rwanda, 15 pour le Darfour, et seulement 0.2 pour le Congo (un cas bénin, contrairement à la période des sanctions et à l’invasion/occupation de l’Irak). Si l’on rapporte ces proportions au nombre des victimes (colonne 5), par rapport au nombre d’utilisation du mot « génocide », le nombre de morts atteint des proportions vertigineuses dans le cas de l’Irak et à fortiori du Congo où les victimes sont très nombreuses mais parfaitement dépourvues d’intérêt, contrairement aux victimes des ennemis des puissances occidentales. Comme nous allons le voir, on retrouve cette même dissymétrie pour d’autres massacres, en fonction de leur statut politique respectif.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, pages 51 et 52

 

Client numéro un des États-Unis, principal bénéficiaire de l’aide internationale et doté d’un ascendant extraordinaire sur la politique américaine au Proche-Orient (« la queue qui remue le chien », comme on dit), Israël dispose d’une très grande marge de manœuvre dans les affaires internationales, et notamment du privilège de pouvoir menacer et même envahir des régions frontalières sans souffrir la moindre critique, susciter d’indignation, ni voir sa politique remise en cause par son parrain (le chien en question). En fait, les agressions, massacres et autres violations du droit international commis par Israël sont presque systématiquement couverts financièrement et diplomatiquement par des secteurs majeurs de l’establishment américain, qu’il s’agisse de l’exécutif, du Congrès ou des médias. De fait, à l’instar de son parrain, Israël est dispensé de se plier aux règles du droit international ou aux contraintes de la Charte des Nations Unies et de la « communauté internationale », et peut ainsi commettre en toute impunité agressions et crimes de guerre. Les actions israéliennes s’en trouvent de facto exemptées d’étiquettes infamantes telles que « génocides », « crimes de guerre », « nettoyage ethniques » ou « crimes contre l’humanité ». De sorte qu’Israël a pu, par exemple, envahir et occuper le Liban en 1982 et y massacrer dans la foulée quelques 15 000 ou 20 000 citoyens libanais et réfugiés palestiniens sans encourir la moindre menace ou sanction du Conseil de sécurité et sans que les interventionnistes humanitaires exigent que des mesures soient prises pour protéger les victimes de cette agression.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, pages 93 et 94

 

Au cours des dernières décennies, on a utilisé de plus en plus fréquemment le mot « génocide », et si souvent à tort et à travers (1) que le crime du XXème siècle pour lequel ce terme avait initialement été créé s’en trouve vidé de son sens. Ce qui reste une constante par contre c’est l’utilisation magistralement biaisée qui en est faite, et cela reste aussi vrai aujourd’hui qu’en 1973 ou en 1988. « On peut même déduire de l’usage de ce terme dans les médias qui sont alliées ou les adversaires des États-Unis (2) ».

Lorsque nous commettons nous-mêmes des exactions de masse, ces atrocités sont constructives, nos victimes, indignes d’intérêt, ne méritent ni attention ni indignation, et ce n’est jamais un génocide qu’elles subissent de notre part – comme ces sous-hommes irakiens, qui sont morts dans des proportions si grotesques au cours des deux dernières décennies. En revanche, dès lors que des exactions sont commises par l’un de nos ennemis ou par l’un des pays que nous visons à attaquer ou à déstabiliser, alors c’est tout le contraire. Là, les atrocités sont alors néfastes et les victimes, dignes d’intérêt, méritent toute notre attention, toute notre compassion, de grandes démonstrations de solidarité et de vibrants appels à des poursuites et des sanctions. Ces atrocités néfastes ont même chacune leur nom propre, généralement associé à celui de l’endroit où le drame s’est produit. Parmi les plus connus, qui ne citerait le Cambodge (mais uniquement sous les Khmers rouges, pas les années précédentes dont les massacres sont imputables aux États-Unis et à leurs alliés) ; l’Irak (mais seulement pour les exactions imputables à Saddam Hussein et non aux États-Unis) ; et ainsi de suite – Halabja, Bosnie, Srebrenica, Rwanda, Kosovo, Racak, Darfour. Cette sorte de consécration par le baptême est véritablement la marque de fabrique des massacres néfastes.

(1)    Une surveillance constante de notre univers médiatique sur une période de 19 ans, de 1990 à 2008, nous permet de constater que le mot « génocide » ou d’autres termes de la même famille apparaissent, en 1999, dans 1352 articles différents. Mais il apparaît aussi qu’après 1999, l’utilisation de ce terme a augmenté de 252% (4758 articles), et qu’après 2006, l’apogée de l’utilisation du mot « génocide »jusqu’à 2008, il a augmenté de 297% (5369 articles)

(2)    Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent, op. cit., p. xxi.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, pages 131 et 132

 

Dans ce cas, comme dans bien d’autres, la culture internationale de l’impunité devient flagrante, dans la mesure où les États-Unis et leurs alliés sont seuls à disposer de passe-droits concernant leurs propres « crimes internationaux suprêmes » et tous les « maux accumulés » dont ils sont responsables. De même, lorsqu’au printemps 1999, la République fédérale de Yougoslavie demanda à la Cour internationale de justice (CIJ) la mise en examen des dix pays membres de l’OTAN qui étaient alors en train de bombarder son territoire, les États-Unis répliquèrent en comparution qu’ils « n’avaient pas reconnu la compétence de la Cour dans ce cas et que, faute d’une telle reconnaissance, la Cour n’avait pas compétence à examiner les faits (1) ». De fait, dès le 2 juin 2009, alors que la Yougoslavie subissait toujours les bombardements de l’OTAN, la CIJ entérinait sa reconnaissance du fait qu’elle n’avait « manifestement pas compétence » à examiner les plaintes de la Yougoslavie mettant en cause les États-Unis, et qu’elle n’était donc nullement en droit d’exiger des agresseurs de suspendre leur attaque. Douze de ses quinze juges estimèrent qu'en effet la CIJ « ne peut trancher un différend entre États sans le consentement de ces États à reconnaitre sa compétence ». Dès lors que les États-Unis faisaient observer qu’ils « n’avaient pas consenti à reconnaître cette compétence […] et ne la reconnaîtraient pas », il ne restait à la CIJ aucune alternative : « Faute du consentement des États-Unis, […] la Cour ne peut exercer sa compétence […] (2). »

(1)    Voir le procès-verbal des dépositions des représentants des autorités américaines : Request for the indication of provisional measures, Yugoslavia v. United States of America, ICJ, 4 :30 PM, 12 mai 1999, para. 2.1-2.24, ici para. 2.22

(2)    Yugoslavia v. United States of America, 2 juin 1999, para. 26-34, Chacun des neufs autres procès (à savoir contre la Belgique, la Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Hollande, le Portugal, l’Espagne, et le Royaume-Uni) eut une issue identique.

Edward S. Herman et David Peterson, Génocide et propagande l’instrumentalisation politique des massacres, page 139

 

Publicité
Commentaires
Publicité
La pilule rouge
Publicité