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La pilule rouge
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2 décembre 2023

John Prados

John Prados

Directeur de recherche au National Security Archive de l'université de Washington, John Prados est unanimement reconnu comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire diplomatique et militaire américaine. L'Histoire de la CIA est son troisième ouvrage à paraître en français, après Les Guerres secrètes de la CIA et La Guerre du Viêt Nam (publié chez Perrin).

 

Histoire de la CIA

Titre : Histoire de la CIA

Auteur : John Prados

Genre : Histoire

Date : 2017

Pages : 725

Éditeur : Perrin

Collection : Collection tempus

ISBN : 978-2-262-10077-3

 

L'histoire, les opérations et les personnels de la CIA, de sa fondation en 1947 à nos jours, par le grand historien américain John Prados. Fondée en 1947, la CIA est la plus célèbre agence de renseignement américaine, voire mondiale. Elle est aussi sans doute la plus controversée. Grâce à de nombreux documents jusqu'alors inconnus, John Prados jette un nouvel éclairage sur ses méthodes et ses opérations - de la Pologne à la Hongrie, de l'Indonésie à l'Irangate et de la baie des Cochons à Guantanamo. Il lève en particulier le voile sur son rôle dans la guerre contre le terrorisme depuis le 11 septembre, qui s'est étendu très au-delà des actions clandestines. Ses réussites, ses échecs, ses relations avec le pouvoir, ses directeurs, ses héros – mais aussi ses salauds - sont ici présentés par l'un des meilleurs spécialistes du sujet, qui décrit par ailleurs l'évolution de l'Agence : se militarisant et s'éloignant toujours davantage de sa mission première de collecte de renseignements, elle semble ne chercher qu'à s'affranchir de tout contrôle du pouvoir exécutif et surtout législatif pour devenir un État dans l'État. Cette Histoire de la CIA, fruit de quarante ans de recherches, est indispensable pour comprendre l'histoire contemporaine des États-Unis et envisager son avenir.

 

Extraits :

La question du langage est capital dans le traitement d’un tel sujet. La CIA est un service de renseignement ayant en charge, entre autres missions, la propagande et la guerre psychologique. Les mots employés par elle ont donc leur importance, et elle est devenue experte en ce domaine et maîtresse dans l’art de la manipulation, du contrôle de la déclassification des documents secrets et du contenu des publications d’anciens agents. Au fil de ses nouveaux programmes, la CIA a forgé, ces dernières années, de nombreux euphémismes permettant d’éviter d’employer des mots généralement associés à certaines actions. Ainsi est-elle parvenue à jeter un voile pudique sur certaines de ses activités les moins avouables.

Ainsi, point de prisons secrètes, mais des « sites noirs » (dark sites). Point de prisonniers, mais des « détenus » (detainees), voire des « détenus de grande valeur » (high-value detainees). Point de passage à tabac, mais des « empoignades » (attention grabs), des « plaquages au mur » (wallings) ou des « gifles » (facial slaps). Point de simulation de noyade, mais du water-boarding ou des « techniques d’interrogatoire renforcées » (enhanced interrogation techniques). Les agents de la CIA – heureusement, à quelques exceptions près – contestent le fait que le terme de « torture » puisse être appliqué à de pareils traitements. La plupart ont accepté les justifications « juridiques » avancées par les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, pour qui la torture ne commence qu’avec la défaillance d’un organe de la personne interrogée.

Dans cet ouvrage, l’horreur ne se drape pas d’euphémisme, et on appelle un chat un chat. La question récemment soulevée de la définition de la torture n’est qu’un des éléments d’un débat sociétal bien plus large : peut-on tolérer que des agences de sécurité emploient tous les moyens pour parvenir à leur fins? Nous refusons donc de jouer au petit jeu sémantique proposé par la CIA. La torture est désignée comme telle, les prisons secrètes comme des prisons secrètes, et ainsi de suite. Si cela vous pose problème, vous pouvez dès maintenant refermer ce livre.

John Prados, Histoire de la CIA, pages 29 et 30

 

Voici une illustration récente de cette propension de la CIA à produire des « récits » arrangés : en 2011, des historiens officiels de l’Agence rédigent un rapport sur les opérations clandestines afin d’en analyser les effets. Ledit rapport conclut que près de 80% des interventions de la CIA ont eu pour objectif de promouvoir et de défense la démocratie. Or, les opérations d’Iran et du Guatemala – deux des plus grands succès de Dulles – ont donné naissance à des dictatures, de même que l’intervention au Congo. Dans les faits, aucune des opérations de la CIA menées sous la supervision de Dulles n’a eu pour résultat l’installation d’une démocratie. Pis : les interventions au Japon et aux Philippines ont eu pour effet d’empêcher des mouvements démocratiques d’exercer leurs droits politiques. Par ailleurs, en France et en Italie, la CIA a manipulé les systèmes démocratiques en place pour empêcher l’émergence politique de la gauche. Ces opérations clandestines avaient pour objectif de restreindre le spectre politique de pays tiers, et non pas de renforcer la démocratie. La charte des Nations unies, ratifiée par les États-Unis, interdit pourtant toute ingérence dans les affaires intérieures d’autres nations. Si l’on veut se montrer charitable, on pourrait dire que les historiens de la CIA se sont intéressés aux objectifs affichés, pas aux effets obtenus ; mais peut-être avaient-ils également une vision quelque peu restreinte de la notion de « démocratie ».

John Prados, Histoire de la CIA, pages 138 et 139

 

Contrairement à une idée très rependue, la CIA ne chasse jamais pour son propre compte. De la volonté de Bill Casey d’affranchir la CIA de tout contrôle parlementaire aux complots d’assassinat de Castro, tout est la conséquence directe de l’idée que se font certaines personnes de l’Agence de ce que désire le président (et qu’il ne peut exprimer clairement). Dans le monde de l’espionnage, la notion de « déni plausible » est au cœur de l’idée que les opérations clandestines sont par définition secrètes. La main des États-Unis, comme celle de Dieu, doit donc demeurer invisible. Par extension, rien ne doit jamais pouvoir attester du fait que le président a eu connaissance des détails d’une opération. Cette vision classique a certes été malmenée, comme dans l’affaire de la baie des Cochons, où la commission Taylor a clairement conclu qu’il était illusoire d’imaginer que la main de l’Amérique pouvait être dissimulée. D’autres entreprises du même genre sont alors en cours. Une force aérienne d’exilés cubains est déployée, cette fois-ci au Congo, dont l’entretien coûte un temps près d’un million de dollars par jour (6 millions d’euros actuels) à la CIA. Il y a la fameuse « armée secrète » déployée au Laos, et qui coûte plus cher encore. Il y a le programme Phoenix d’escadrons de la mort au Vietnam, sans parler de la guerre secrète qui s’y déroule. Il y a les opérations d’Air America dans le monde entier. Et il y a Track II, pour renverser Salvador Allende au Chili.

John Prados, Histoire de la CIA, pages 310 et 311

 

Tout cela, hélas, ne fait que s’ajouter aux machinations qui sont monnaie courante à Langley. De très nombreux projets sont en cours au Sud-Vietnam, où la CIA est théoriquement chargée de la pacification, ainsi qu’au Laos, où elle encadre une armée secrète de Hmongs. La pacification demeure un sujet sensible, car la CIA est à l’origine du programme Phoenix, qui vise les instrastructures de la guérilla en ayant recours à des assassinats. Sur le Laos, les inquiétudes portent sur le fait que les États-Unis ont affirmé respecter la neutralité du pays alors qu’ils y conduisent des opérations militaires et paramilitaires.

Il y a également du grabuge au Chili, car Nixon a insisté auprès de Helms pour qu’il empêche l’accession au pouvoir du dirigeant chilien socialiste Salvador Allende. Des amis – dont John McCone, administrateur de l’International Telephone and Telegraph Corporation (ITT) – s’allient à Langley pour soutenir financièrement les adversaires d’Allende, qui est malgré tout élu. Nixon ordonne alors le lancement de Track II, projet visant à s’en prendre physiquement à Allende, qui ramène l’Agence à ses complots d’assassinat. Dick Helms aurait fait observer que jamais la Maison Blanche ne lui avait autant laissé carte blanche qu’au lancement de cette opération Track II. La manipulation de l’économie chilienne par la Cia et les États-Unis est immense. Langley s’enfonce dans les ténèbres sur le front intérieur tout en se fragilisant à l’extérieur.

John Prados, Histoire de la CIA, pages 479 et 480

 

[2001] L’administration Bush fait pourtant le choix de répondre à cette attaque en sortant son plan d’invasion de l’Irak. On en profite pour envahir également l’Afghanistan, en envoyant d’abord des équipes paramilitaires de la CIA et des troupes des forces spéciales. L’instruction présidentielle du 17 septembre 2001, par laquelle le président Bush autorise ces actions, constitue la base sur laquelle le programme de torture de la CIA va s’appuyer durant la guerre contre le terrorisme.

L’expédition en Irak, qui se fonde sur de fausses assertions d’existence d’armes de destruction massive, est sans doute celle qui tient le plus à cœur à la Maison Blanche. Le vice-président Richard B. Cheney, visite le quartier général de Langley à de nombreuses reprises pour obtenir les renseignements dont il a besoin. Ses demandes constantes exercent une pression toujours plus grande sur les analystes et sur les questions de renseignements liés au terrorisme. Quand les analystes de Tenet refusent de plier, comme lorsqu’ils contestent les affirmations de liens entre le gouvernement irakien et al-Qaïda, les équipes de Bush se tournent vers d’autres sources pour obtenir leurs renseignements « de source sûre ». En mars 2003, les États-Unis envahissent l’Irak, renversent le gouvernement de Saddam Hussein et se mettent en quête des fameuses armes de destruction massive. Quelques mois après le début de la campagne, le président Bush se rend dans la région et peut plastronner en appontant sur le porte-avion : « Mission accomplie! »

Il n’en est rien et la guerre continue. Au moment où j’écris ces lignes, en 2017, le guerre en Afghanistan est la plus longue de l’histoire des États-Unis, et les défenses du gouvernement que Washington a permis d’installer semblent plus fragiles que jamais. Les États-Unis ont quitté l’Irak en 2011, mais ont dû y retourner trois ans plus tard lorsque des fondamentalistes ont commencé à se tailler un État à cheval sur la frontière entre la Syrie et l’Irak. L’histoire de la guerre menée par le CIA en Afghanistan et en Irak reste à écrire, mais elle commence avec George Tenet. Le directeur de la CIA a le sentiment de faire partie d’un chœur grec, derrière le secrétaire d’État Colin Powell quand ce dernier se rend devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour y affirmer, contre toute probabilité, que l’Irak possède des armes de destruction massive.  Moins d’un an plus tard, Tenet confie sa crainte de l’échec de la guerre américaine en Irak.

John Prados, Histoire de la CIA, pages 538 et 539

 

 

 

 

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