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La pilule rouge
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9 août 2015

Matthieu Ricard

 

Matthieu Ricard 001 Mod 001

 

Né en 1946, fils de Jean-François Revel, docteur en biologie moléculaire à l'institut Pasteur sous la direction de François Jacob, Matthieu Ricard a abandonné sa brillante carrière scientifique pour se convertir au bouddhisme qu'il a découvert à la fin des années 1960. Ordonné moine en 1978, il est devenu l'un des spécialistes mondiaux du bouddhisme et accompagne fréquemment le Dalaï-Lama dans ses voyages en qualité d'interprète. Le moine et le philosophe (NiL Éditions, 1997), retranscription d'un dialogue qu'il eut avec son père, le philosophe Jean-François Revel, fut un best-seller en France avant d'être traduit en vingt langues. Il a publié d'autres ouvrages, parmi lesquels un album photographique L'esprit du Tibet (Seuil, 1996), des essais : L'infini dans la paume de la main avec Thrinh Xuan Thuan (NiL Éditions, 2000), Plaidoyer pour le bonheur (NiL Éditions, 2003) ainsi que de nombreuses traductions de textes tibétains. Établi depuis 1972 dans les Himalayas, il vit au monastère de Shétchen au Népal.

 

L'infini dans la paume de la main

 

 

Titre : L’infini dans la paume de la main

Auteur : Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan

Genre : Science / Religion

Date : 2002

Pages : 400

Éditeur : Nil édition / Fayard

Collection : Pocket

ISBN : 2-266-10861-1

 

Le dialogue d'un scientifique français devenu bouddhiste et d'un bouddhiste vietnamien devenu scientifique... La science et la spiritualité éclairent
chacune à leur façon la vie des hommes : pourquoi, à défaut de se rejoindre, ne seraient-elles pas complémentaires ? Las, nous dit-on, la connaissance scientifique et la connaissance spirituelle sont trop étrangères l'une à l'autre pour que leur confrontation puisse être autre chose qu'un dialogue de sourds... C'est précisément à faire mentir cet antagonisme que s'attachent ici Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan. Le champ des interrogations est vaste : Quelle est la nature du monde ? De l'Univers ? De la matière? Du temps ? De la conscience ? Comment mener notre existence ? Comment vivre en société ? Comment marier science et éthique ? Quant aux réponses, le lecteur jugera si elles sont conformes aux idées qu'il se faisait par avance. Car au fil de ce dialogue passionné, animé par un sincère désir de compréhension réciproque, se produit l'inattendu : les oppositions s'estompent, les convergences se font jour, et l'on se prend à rêver d'un avenir où foi et raison seraient, enfin, durablement réconciliées.

 

 

 

Plaidoyer pour l'altruisme - La force de la bienveillance

Titre : Plaidoyer pour l’altruisme – La force de la bienveillance

Auteur : Matthieu Ricard

Genre : Psychologie / Anthropologie / Étiologie

Date : 2014

Pages : 1002

Éditeur : Nil édition / Fayard

Collection : Pocket

ISBN : 978-2-266-24934-8

 

Résumé sur le livre :

Abreuvés d'images violentes, confrontés à une société en crise, on n'imagine pas la force de la bienveillance, le pouvoir de transformation positive qu'une véritable attitude altruiste peut avoir sur nos vies au plan individuel et, partant, sur la société tout entière. Moine bouddhiste depuis près de quarante ans, Matthieu Ricard, lui, expérimente les vertus de l'altruisme au quotidien. Au carrefour de la philosophie, de la psychologie, des neurosciences, de l'économie, de l'écologie, Plaidoyer pour l'altruisme est la somme d'années de recherches, de lectures, d'expériences, d'observation et de réflexion.

Avec le sens de la pédagogie qui le caractérise et toujours en s'appuyant sur des exemples très concrets, l'auteur de Plaidoyer pour le bonheur démontre point par point que l'altruisme n'est ni une utopie ni un vœu pieux, mais une nécessité, voire une urgence, dans notre monde de plus en plus interdépendant à l'heure de la mondialisation. Un essai passionnant, inspiré par un humanisme et une lucidité qui emportent l'adhésion.

 

 

Extraits :

« D’abord ils vous ignorent, puis ils rient de vous, puis ils vous combattent, puis vous gagnez. »

Gandhi

Page 32

 

L’être humain est une partie du tout que nous appelons l’univers, une partie limitée par le temps et l’espace. Il fait l’expérience de lui-même, de ses pensées et de ses sentiments comme d’évènements séparés du reste, c’est là une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est une forme de prison pour nous, car elle nous resteint à nos désirs personnels et nous contraint à réserver notre affection aux quelques personnes qui sont les plus proches de nous. Notre tâche devrait consister à nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion de manière à y inclure toutes les créatures vivantes et toute la nature dans sa beauté.

Einstein. Lettre écrite en 1950 à son ami Robert S. Marcus, qui venait de perdre son fils. Le manuscrit de la lettre se trouve au Albert Einstein Archives at Hebrew at University of Jerusalem, Israël.

Page 44

 

En 1984, Cate Jenkins, une chimiste de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, recut de Greenpeace un dossier montrant que les études scientifiques produites par Monsanto et censées prouver l’innocuité des PCB (polychlorobiphényles) avaient été falsifiées, et que Monsanto savait que ces produits chimiques étaient hautement toxiques. Cate alerta ses supérieurs et leur soumit un rapport accablant. Mais le vice-président de Monsanto intervint auprès des supérieurs de l’Agence de protection de l’environnement, et le rapport fut enterré jusqu’à ce que, outrée, Cate décidât de le livrer à la presse. Mal lui en prit : elle fut mutée, puis harcelée pendant des années au point que sa vie devint infernale. C’est pourtant grâce à elle que la collusion entre le gouvernement et Monsanto fut mise au jour et que de nombreuses victimes des PCB et de l’ « agent orange » (utilisé au Vietnam comme défoliant) purent être dédommagées.

Référence:

Robin, M.-M. (2010). Le Monde selon Monsanto. La Découverte. Kindle, pp. 1432-1530.

Page 137

 

Comme le disait Martin Luther King : « C’est a chaque homme de décider s’il marche dans la lumière de l’altruisme créatif ou dans les ténèbres de l’égoïsme destructeur. »

Page 187

 

Le Dalaï-lama rappelle souvent que l’homme, à la différence des animaux, est le seule espèce capable de faire un bien ou un mal immense à ses semblables. Comment faire en sorte que ce soit le bon côté de la nature humaine qui prenne l’avantage? On peut trouver une inspiration dans ces paroles attribuées à un vieil homme amérindien : « Une lutte impitoyable se déroule en nous, dit-il à son petit-fils, une lutte entre deux loups. L’un est mauvais – il est haine, avidité, arrogance, jalousie, rancune, égoïsmr et mensonge. L’autre est bon – il est amour, patience, générosité, humilité, pardon, bienveillance et droiture. Ces deux loups se battent en toi comme en tous les hommes. » L’enfant réfléchit un instant, puis demanda : « Lequel des deux loups va gagner? » « Celui que tu nourris », répondit le grand-père.

Page 189

 

Affirmation autoritaire du pouvoir, retrait d’affection et « induction »

Certains parents ont tendance à affirmer leur autorité de façon radicale ou à cesser de manifester leur affection lorsque l’enfant se comporte mal. Ni l’une ni l’autre de ces attitudes ne donne de bons résultats. Martin Hoffman distingue trois principaux types d’intervention parentale : l’affirmation autoritaire du pouvoir, le retrait d’amour, et l’induction (…). L’affirmation autoritaire du pouvoir s’accompagne de sévères remontrances, de menaces, d’ordres impératifs, de privations d’objets ou d’activités que l’enfant affectionne, et de châtiments corporels. Ces méthodes produisent un effet contraire à celui qui est visé, car elles engendrent chez l’enfant la colère, la peur et un ressentiment chronique. Les punitions ont également tendance à rendre l’enfant moins empathique à l’égard de ses semblables et à diminuer sa sociabilité. Les punitions et les châtiments corporels, supposés être éducatifs, constituent le mode d’intervention préféré des parents abusifs, qui punissent et frappent leurs enfants pour un rien.

Ma sœur Ève, qui s’est occupée pendant plus de trente-cinq ans d’enfants issus de milieux défavorisés, raconte l’histoire de parents qui battaient systématiquement leurs enfants et pensaient ainsi les éduquer : « Ils donnaient à leurs enfants des baffes à leur dévisser la tête, raconte-t-elle, et quand on leur a dit : « Vous ne devez pas frapper vos enfants », le père a répondu : « Mais je ne les frappe pas… je n’ai pas de bâton! » Les parents étaient eux-mêmes des enfants de la DDASS et avaient été maltraités.

Par le retrait d’amour, le parent manifeste son irritation et sa désapprobation en s’éloignant de l’enfant de deux manières : affectivement, en déclarant qu’il ne l’aime pas et en le menaçant de l’abandonner, et physiquement, en le condamnant à restant seul (« Au coin! », « Va dans ta chambre! »), ou en ignorant sa présence, en détournant son regard de lui et en refusant de lui parler ou de l’écouter. Le retrait d’affection crée un sentiment d’insécurité chez l’enfant qui ne peut plus compter sur l’amour de ses parents.

Les recherches montrent unanimement que l’attitude la plus constructive et la plus efficace consiste à expliquer calmement à l’enfant pourquoi il ferait mieux de changer de comportement. C’est cette approche qu’Hoffman appelle induction. On incite l’enfant à adopter la perspective de l’autre et à prendre notamment conscience du tort qu’il a pu causer à autrui. On lui montre également comment réparer le tort qu’il a commis. Si l’enfant s’est moqué de l’apparence physique d’un camarade, par exemple, les parents lui expliqueront à quel point les paroles blessantes concernant le physique, la couleur de peau ou toute autre spécificité que l’on n’a pas choisie sont de nature à faire souffrir l’autre et peuvent avoir de douloureuses répercussions sur son existence. Ils demanderont à l’enfant d’imaginer comment il se sentirait lui-même si on le traitait de la sorte. Ils lui suggéreront de se rendre auprès de son camarade pour lui manifester son amitié.

L’induction doit être accomplie avec perspicacité, bienveillance et équité. Toutefois, elle n’est pas synonyme de laxisme et n’exclut pas la fermeté. Elle fait clairement comprendre à l’enfant que les parents désapprouvent sa conduite, sans toutefois provoquer un sentiment de culpabilité qui lui serait nocif. Elle s’accompagne de soutien affectif et évite l’affirmation autoritaire du pouvoir. Comme l’explique le psychologue Jacques Lecomte, la fermeté « fournit à l’enfant une information claire sur ce que veut le parent, tout en l’invitant à affirmer sa propre autonomie. Le soutien seul n’est pas aussi efficace, en particulier après un refus par l’enfant ». Si les parents se contentent de raisonner et de faire appel à la bonne volonté de l’enfant, celui-ci comprend vite qu’il peut toujours avoir le dernier mot. Selon d’autres études, recensées par Lecomte, « un style éducatif parental associant l’amour et les règles a généralement des effets positifs sur l’enfant : meilleur équilibre personnel, bonnes relations avec son entourage et même meilleurs résultats scolaires ». Il s’avère également que les enfants sont plus sensibles aux appels à l’empathie qu’aux rappels de normes morales abstraites.

L’un des points importants de l’induction est qu’elle présuppose la disposition altruiste de l’enfant et sa volonté de coopérer si l’effet d’un comportement bénéfique aux autres lui apparaît clairement.

Références :

Hoffman, M. L. (2008). Empathie et développement moral. Op. cit

Janssens, J. M., & Gerris, J. R. M. (1992). Child rearing, empathy and prosocial development. In J. M. Janssens & J. R. M. Gerris (eds.), Child rearing : Influence on Prosocial and Moral Development, pp. 57-75

Trickett, P. K., & Kuczynski, L. (1986). Children’s misbehaviors and parental discipline strategies in abusive and nonabusive families, Developmental psychology, 22(1), 115.

Ricard, E. (2012). La Dame des mots. Éditions NiL.

Hoffman M. L. (2008). Empathie et développement moral. Op. cit. ; Krevans, J. & Gibbs, J. C. (1996). Op. cit. ; Stewart, S. M., & McBride-Chang, C. (2000). Influence on children’s sharing in a multicultural setting, Journal of Cross-Cultural Psychology, 31(3), 333-348.

Page 276-278

 

La méditation peut ralentir le vieillissement des cellules

Les télomères sont des segments d’ADN situés à l’extrémité des chromosomes. Ils assurent la stabilité des gènes lors de la division cellulaire, mais sont raccourcis chaque fois que la cellule se divise. Lorsque la longueur du télomère diminue au-dessous d’un seuil criique, la cellule cesse de se diviser et entre graduellement dans un état de sénescence. Les télomères sont toutefois protégés par une enzyme appelée télomérase. Ainsi, le vieillissement des cellules de notre corps, notre santé et notre longévité sont affectés par le taux d’activité de la télomérase.

On a observé que le stress et la détresse psychologique diminuent l’activité de la télomérase, accélérant ainsi le vieillissement et présageant une mortalité prématurée. Il a été également montré qu’un changement de style de vie entraînant une réduction du stress peut se traduire par une augmentation de 30% de l’activité de la télomérase.

Une étude, réalisée sous la direction de Cliff Saron, de l’université de Davies en Californie, et effectuée sur trente méditants ayant pratiqué en moyenne six heures par jour pendant trois mois, au cours du Shamata Project animé par Alan Wallace a révélé que l’activité de la télomérase était considérablement plus élevée à la fin des trois mois de pratique chez les méditants que chez les membres du groupe témoin. Cette étude est la première à mettre en évidence un lien entre des changements psychologiques positifs et altruistes induits par la méditation et l’activité de la télomérase. Les chercheurs ont aussi montré que les pratiquants de la méditation bénéficiaient d’une meilleure santé mentale et trouvaient davantage de sens à leur existance.

Références:

Fossel, M. (2000). Role of cell senescence in human aging. Journal of Anti-Aging Medecine, 3(1), 91-98 ; Chan, S. R., & Blackburn, E. H. (2004). Telomeres and telomerase. Philosophical transaction of the Royal Society of London. Series B : Biological Sciences, 359(1441), 109-122.

Blackburn, E. H. (1991). Structure and function of telomeres. Nature, 350(6319), 569-573.

Cawthon, R. M., Smith, K. R., O’Brien, E., Sivatchenko, A., & Kerber, R. A. (2003). Association between telomere length in blood and mortality in people aged 60 years or older. The lancet, 361(9355), 393-395 ; Epel, E. S. (2009). Telomeres in a Life-Span Perspective A New “Psychobiomarker”? Current Directions in Psychological Science, 18(1), 6-10.

Voir notamment, Njajou, O. T., Hsueh, W.-C., Blackburn, E. H., Newman, A. B., Wu, S.-H., Li, R., … Cawthon, R. M. (2009). Association between telomere lenth, specific causes of death, and years of healthy life in health, aging, and body composition, a population-based cohort study. The Jourals of Gerontology Series A : Biological Sciences and Medical Sciences, 64(8), 860-864.

Ornish, D., Lin, J., Daubenmier, J., Weidner, G., Epel, E., Kemp, C., … Carroll, P.R. (2008). Increased telomerase activity and comprehensive lifestyle changes: a pilot. The Lancet Oncology, 9(11), 1048-1057.

Jacobs, T. L., Epel, E. S., Lin, J., Blackburn, E. H., Wolkowitz, O. M., Bridwell, D. A., Zanesco, A. P., et al. (2010). Intensive meditation training , immune cell telomerase activity, and psychological mediators. Psychoneuroendocrinology. Voir également Hoge MD, E. A., Chen BS, M. M., Metcalf BA, C. A., Fisher BA, L.E., Pollack MD, M. H., & DeVivo, I. (2013). Loving kindness meditation practice associated with longer telomeres in women. Brain, Behavior, and Immunity.

Page 325

 

« Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit ». Francois de La Rochefoucauld

Page 378

 

Les psychopathes en cravate

Les psychopathes ne sont pas tous violents, et un certain nombre d’entre eux réussissent fort bien dans la société moderne, notamment dans le monde de la finance et de l’entreprise, comme le montre le livre du psychologue du travail Paul Babiak, en collaboration avec Robert Hare, Snakes in Suits : When Psychopaths go to work (« Serpents en costume : quand les psychopathes vont au travail »). Ce sont les « psychopathes à succès », par contraste avec les « psychopathes qui échouent », lesquels, impulsifs et violents, se retrouvent rapidement en prison. Selon Babiak, les psychopathes en costume-cravate « manquent d’empathie, mais dans le monde des affaires, ce n’est pas nécessairement vu comme une mauvaise chose, en particulier quand il y a des décisions difficiles à prendre, comme celles de licencier des employés ou de fermer une usine ».

Beaux parleurs, charmants et charismatiques mais sans scrupules, convaincants à l’embauche, virtuoses de la gestion de leur image et manipulateurs hors pair, ils considèrent leurs collègues de manière strictement utilitaire et s’en servent pour gravir les échelons de l’entreprise. Dans un monde où l’environnement économique est de plus en plus compétitif, de nombreux psychopathes se sont ainsi insérés dans les hautes sphéres de l’tretreprise et de la finance. Le tristement fameux Bernard Madoff, ainsi que Jeff Skilling, ancien président de la firme texane Enron condamné à vingt-quatre ans de prison pour fraude en 2006, en sont des exemples notoires.

Deux chercheurs britaniques de l’université de Survey, en Angleterre, Belina Board et Katarina Fritzon, se sont servies de la liste d’évaluation de Robert Hare por étudier les traits de personnalité de 39 PDG de grandes entreprises britanniques et pour les comparer aux patients de l’hôpital psychiatriques de Broadmoor : « Notre échantillon était limité, mais les résutats sans appel. […] Les troupes de personnalité des gens d’affaires se confondaient avec ceux des criminels et des patients psychiatriques », rapportait Belina Board dans le New York Times, concluant que les PDG en question étaient devenus « des psychopates à succès » qui, comme les patients souffrant de troubles psychotiques de la personnalité, manquaient d’empathie, avaient tendance à exploiter les autres, étaient narcissiques, dictatoriaux, et empeints de démesure. Ils surpassaient même les patients psychiatriques et les psychopathes dans certains domaines comme l’égocentricité, le charme superficiel, le manque de sincérité et de la tendance à la manipulation. Ils étaient toutefois moins enclins à l’agression physique, à l’impulsivité et au manque de remords.

Références :

Babiak, P., & Hare, R. D. (2007). Snakes in suits : When Psychopaths Go to Work. Harper&Business

Board, B. J., & Fritzon, K. (2005), et Board, B. The Tipping Point. The New York Times, 11 mai 2005, sec. Opinion

Pages 432-433

 

 

Au Moyen Âge, la torture était pratiquée ouvertement et ne semblait choquer personne. La pendaison, le supplice de la roue, l’empalement, l’écartement par des chevaux et le supplice du bûcher étaient monnaie courante. Des condamnés, parfois innocents, étaient suspendus à une poutre, les jambes écartées, la tête en bas, pour être sciés en deux en commencant par l’entrejambe, le tout en présence d’une foule de badauds, enfants inclus. Ceux qui infligeaient ces tortures étaient experts en anatomie et s’ingéniaient à prolonger les douleurs des suppliciés. Les tortures furent  furent autorisés par le pape Innocent IV (v. 1195-1254) dans le cadre de persécutions religieuses et furent largement pratiquées par les dominicains de l’Inquisition qui mirent à mort environs 350 000 personnes. Le pape Paul IV (1476-1559), Grand Inquisiteur, était un fervent adepte de la torture, ce qui ne l’empêchera pas d’être canonisé en 1712.

[…]

Aux XVIème et XVIIème siècles, entre 60 000 et 100 000 personnes (dont 85% de femmes) furent exécutées pour sorcellerie, généralement brûlées sur un bûcher après avoir confessé sous la torture les crimes les plus invraisemblables (comme d’avoir dévoré des bébés, provoqué des naufrages, ou s’être unies au démon). La dernière des « sorcières » à être publiquement brûlée vive en Suisse fut Anna Göldin, en 1782, dans le canton de Glaris.

[…]

 

Page 555-556

 

 

La viande des pays riches coûte cher aux pays pauvres

 

L’équation est simple : 1 hectare de terre peut nourrir 50 végétariens ou 2 carnivores. Pour produire 1 kilo de viande, il faut la même surface de terre que pour cultiver 200 kilos de tomates, 160 kilos de pommes de terre ou 80 kilos de pommes. Dans Sans viande et sans regrets, Frances Moore Lappé souligne que 1 acre de céréales donne cinq fois plus de protéines que la même acre utilisée pour produire de la viande; 1 acre de légumineuses en donne dix fois plus, et 1 acre de légumes feuillus quinze fois plus. L’élevage consomme chaque année 750 millions de tonnes de blé et de maïs qui suffiraient à nourrir convenablement les 1,4 milliards d’êtres humains les plus pauvres. Plus de 90% des 225 millions de tonnes de soja récoltées dans le monde servent aussi à nourrir les animaux d’élevage. […]

Pour obtenir 1 calorie de viande de bœuf par élevage intensif, il faut de 8 à 26 calories d’aliments végétaux, qui auraient pu être consommées directement par l’homme. […]

En plantant de l’avoine, on obtient six fois plus de calories par hectare qu’en consacrant cet hectare à produire de la viande de porc, et vingt-cinq fois plus pour la viande de bœuf. 1 hectare de brocolis produit vingt-quatre fois plus de fer que 1 hectare utilisé pour produire de la viande de bœuf

 

Références :

 

Doyle, J. (1985). Altered Harvest : Agriculture, Genetics and the Fate of the World’s Food Supply
(2ème edition). Viking Press.

Le Worldwatch Institute est une organisation de recherche fondamentale basée aux États-Unis. L’un de leurs projets est une analyse comparative des innovations agricoles écologiquement durables pour réduire la pauvreté et la faim.

D’après le United States Department of Agriculture-Foreign Agricultural Service (USDA-FAS), 1991.

Foer, J. S. (2012). Faut-il manger les animaux? Seuil, Points, p. 265 et note 105. Calcul basé sur des sources gouvernementales et celles d’universités

FAO (2006). L’Ombre portée de l’élevage. Impacts environnentaux et options pour atténuation, Rome ; FAO (2009). Comment nourrir le monde en 2050.

 

Page 603

 

 

Il est clair, souligne l’économiste français Serge-Christophe Kolm, qu’ « un système économique ne produit pas que des biens et des services. Il produit aussi des êtres humains et des relations entre eux. La façon dont la société produit et consomme a une grande influence sur les personnalités, les caractères, les connaissances, les désirs, les bonheurs, les types de relations interpersonnelles ». Tant de choses essentielles au bonheur n’ont rien à voir avec des transactions économiques. Adam Smith lui-même, le père de l’économie de marché, était loin d’être aussi extrême que ses successeurs et, dans un ouvrage que les économistes ont trop souvent oublié, Théorie des sentiments moraux, il affirmait : « Contenir nos affections égoïstes et laisser libre cours à nos affections bienveillantes forme la perfection de la nature humaine; et cela seul peut produire parmi les hommes cette harmonie des sentiments et des passions en quoi consistent toute leur grâce et leur convenance. »

Une théorie économique qui exclut l’altruisme est fondamentalement incomplète et réductrice. Elle est surtout en porte-à-faux avec la réalité, et vouée par conséquent à l’échec. En effet. Les modèles mathématiques complexes construits par les économistes néoclassiques pour tenter d’expliquer les comportements humains sont fondés sur des présuppositions qui, pour la plupart, sont fausses, car la majorité des gens ne sont pas totalement égoïstes, ne sont pas pleinement informés (la dissimulation de l’information est l’un des stratagèmes qu’emploient ceux qui manipulent les marchés) et sont loin de toujours faire des choix rationnels.

 

Page 722

 

 

Le philanthrope invisible

Au cours des trente dernières années, Chuck Feeney, à la tête d’une fortune de 7,5 milliards de dollars provenant de l’empire des boutiques duty free qu’il avait créées, a sillonné le globe pour mener à bien des opérations clandestines destinées à alimenter les multiples projets caritatifs de sa fondation, Atlantic Philanthropies. Des États-Unis à l’Australie, en passant par l’Irlande et le Vietnam, celle-ci a consacré 6,2 milliards de dollars à l’éducation, la science, la santé et les droits humains. Personne, à ce niveau de richesse, n’a jamais donné sa fortune si totalement de son vivant. Le solde de 1,3 milliard de dollars sera dépensé d’ici à 2016. Alors que les titans du monde des affaires sont obsédés par la thésaurisation et la multiplication des richesses, Feeney met tout en œuvre pour vivre et mourir dans la frugalité.

Pendant les quinze premières années de cette mission, entreprise en 1984, il a caché sa générosité de façon quasi obsessionnelle. La plupart des organisations qui bénéficiaient de ses dons n’avaient aucune idée de la provenance des sommes considérables qu’elles recevaient par l’intermédiaire d’Atlantic Philanthropies. Les personnes qui le savaient étaient tenues au secret.

Soupçonné de dissimuler illégalement d’importantes sommes d’argent, Feeney dut finalement révéler ses activités lorsqu’il voulut vendre sa société. Il dut alors prouver que ces sommes, il les avait… données. « Je suis heureux, déclare-t-il dans l’une des très rares interviews qu’il a accepté de donner, quand ce que je fais aide les autres, et malheureux quand ce que je fais ne leur est pas utile. »

En 1997, Feeney renonca donc à regret à son anonymat. Toutefois, cette transition fut bénéfique puisque deux des hommes les plus riches du monde, Bill Gates et Warren Buffett, ont reconnu qu’il était pour eux une source d’inspiration majeure. Bill Gates et sa femme créèrent  la Bill & Melinda Gates Foundation à laquelle ils ont déjà consacré 30 milliards de dollars.

Au fil de ses voyages, Chuck Feeney continue de vivre frugalement et réside dans des logements modestes. Il a parcouru des millions de kilomètres en classe éconique, déclarant que la classe affaires ne lui permettait pas d’arriver plus vite à destination; il porte une montre Casio en caoutchouc qui, dit-il, indique l’heure aussi bien qu’une Rolex. Son message aux philanthropes est simple : « N’attendez pas d’être vieux ou, pis encore, mort pour donner votre fortune. Donnez-la tant que vous avez suffisamment d’énergie, de relations et d’influence pour faire des vagues. »

 

Référence :

Steven Bertoni, Chuck Feeney : The billionaire who is trying to go broke. Forbes Magazine, 8 octobre 2012

 

Pages 757-758

 

 

 

“Ceux qui pensent que la croissance économique peut continuer indéfiniment sont soit des malades mentaux, soit des économistes. » Kenneth Boulding

 

Page 830

 

 

L’inventeur du PIB, le prix Nobel d’économie Simon Kuznets, avait montré il y a déjà soixante ans que le PNB (produit national brut) et le PIB (produit intérieur brut), conçus pour gérer la crise de 1929, ne mesurent que quelques aspects de l’économie et ne devraient jamais servir à évaluer le bien-être, voire les progrès d’une nation : « Le bien-être d’un pays peut […] difficilement se déduire de la mesure du revenu national », écrivait Kuznets dès 1934. Il attirait l’attention sur le fait qu’il ne fallait pas se contenter de s’interroger uniquement sur ce qui augmente quantitativement, mais sur la nature de ce qui augmente : « Il faut garder à l’esprit la distinction entre quantité et qualité de la croissance […]. Quand on fixe comme objectif « plus » de croissance, il faudrait préciser plus de croissance de quoi et pour quoi faire. »

Le PIB quantifie la valeur totale de la production, au cours d’une année, de la richesse créée par les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) résidant à l’intérieur du pays. Or la prospérité véritable possède en effet de nombreux autres paramètres que le PIB ne prend pas en compte. En particulier, la mesure du PIB ne fait aucune distinction entre l’augmentation du volume des biens et des services quand elle s’accompagne d’un plus grand bien-être et la même augmentation lorsqu’elle se fait au détriment de ce bien-être.

Dans les années 1990, les économistes ont commencé à parler plus souvent de PIB que de PNB, ce qui a affaibli plus encore la corrélation entre la richesse théorique d’un pays et le bien-être de sa population. Le PNB correspond à la production annuelle de richesses créées par un pays, que cette production ait lieu sur le sol national ou à l’étranger. Toutefois, si les produits d’un pays sont exportés en grande quantité, ce qui est généralement le cas des ressources minières et pétrolières, le PIB augmente, alors que le PNB peut diminuer si les citoyens ne bénéficient pas des revenus engendrés par ces ressources – soit qu’elles sont exploitées par des compagnies étrangères, soit qu’une classe gouvernante peu scrupuleuse se les approprie. Dans d’autres cas, le PIB augmente fortement tandis que la qualité de vie se dégrade en raison des dégâts environnementaux et des conflits liés à la mainmise sur les ressources minières, comme c’est le cas au Congo.

Ainsi que le souligne le psychologue Martin Seligman : « À l’époque de la révolution industrielle, les indicateurs économiques constituaient une très bonne approximation de la réussite d’un pays. La satisfaction des besoins élémentaires – se nourrir, se loger, se vêtir – était hasardeuse, et elle progressait avec l’augmentation des richesses. Mais plus une société devient prospère, moins la mesure de la richesse est un bon indicateur de sa réussite. Au XXIème siècle, les produits et les services essentiels, autrefois rares, sont devenus courants, et certains pays en disposent en surabondance. Du fait que les besoins élémentaires sont amplement satisfaits dans les sociétés modernes, des facteurs autres que la richesse jouent désormais un rôle considérable dans l’évaluation de leur réussite. […] Aujourd’hui, la divergence existante entre richesse et qualité de vie saute aux yeux. »

On ne peut s’attendre à ce que la qualité de vie soit un simple sous-produit de la croissance économique, car l’une et l’autre n’ont pas les mêmes critères. Il serait plus approprié d’introduire le concept de « bonheur national brut », pour reprendre un terme que le Bhoutan, petit pays himalayen, a lancé il y a quelques années. Il existe depuis trois décennies une science qui permet de mesurer divers aspects de la satisfaction de vie et ses corrélations avec d’autres facteurs extrinsèques (ressources financières, rang social, éducation, degré de liberté, niveau de violence dans la société, situation politique) et intrinsèques (bien-être subjectif, optimisme ou pessimisme ou altruisme).

Il y a près de quarante ans déjà, alors qu’il se présentait à la présidence des États-Unis, le sénateur Robert Kennedy déclarait de façon visionnaire :

Nous avons trop et trop longtemps abandonné l’excellence et les valeurs de la société au profit de l’accumulation de biens matériels. Aujourd’hui, notre produit intérieur brut est supérieur à 800 milliards de dollars par an, mais PIB – si nous devions évaluer l’Amérique par cet outil – comptabilise la pollution de l’air et la publicité pour les cigarettes et les revenus des ambulances qui s’occupent des blessés lors des accidents de la route. Il prend en compte la destruction de nos séquoias et de nos merveilles naturelles dans une expansion chaotique. Il prend en compte le napalm et le coût des ogives nucléaires, ainsi que les voitures de police blindées qui combattent les émeutes dans nos rues. Il prend en compte les fusils et les couteaux, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence afin de vendre des jouets à nos enfants. Mais le produit intérieur brut ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur éducation, ou du plaisir de leurs jeux. Il ne prend pas en compte la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages; l’intelligence de nos débats publics ou l’intégrité de nos responsables officiels. Il ne mesure ni notre humour ni notre courage; ni notre sagesse ni nos connaissances; ni notre compassion ni notre dévouement pour notre pays; en résumé, il mesure tout, sauf ce qui donne de la valeur à notre vie.

 

Références :

 

Kuznets, S., « National Income, 1929-1932 », 73e Congrès, 2e session, document du Sénat n°124, 1934, p7

Kuznets, S. How to Judge Quality. New Republic, 20 octobre 1962, pp. 29-32

Seligman, M. (2013). S’épanouir. Belfond. Kindle, loc. 4829-4854; Diener, E., & Seligman, M. E. (2004). Beyond money toward an economy of well-being. Psychological Science in the Public Interest, 5(1), 1-31

Kennedy, R. Discours du 18 mars 1968 à l’université du Kansas. In The Gospel According to RFK. Westview Press, p.41.

 

Pages 833-835

 

Plaidoyer pour les animaux

Titre : Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous

Auteur : Matthieu Ricard

Genre : Spiritualité, morale, éthique

Date : 2015

Pages : 394

Éditeur : Allary Éditions

Collection : Pocket

ISBN : 978-2-266-25658-2

 

 

Nous tuons chaque année 60 milliards d'animaux terrestres et 1 000 milliards d'animaux marins pour notre consommation. Un massacre inégalé dans l'histoire de l'Humanité qui pose un défi éthique majeur et nuit à nos sociétés : cette surconsommation aggrave la fin dans le monde, provoque des déséquilibres écologiques, est mauvaise pour notre santé. En plus de l'alimentation, nous instrumentalisons aussi les animaux pour des raisons purement vénales (trafic de la faune sauvage), pour la recherche scientifique ou par simple divertissement (corridas, cirques, zoos). Et si le temps était venu de les considérer non plus comme des êtres inférieurs, mais comme nos « concitoyens » sur cette terre? Nous vivons dans un monde interdépendant où le sort de chaque être, quel qu'il soit, est intimement lié à celui des autres. Il ne s'agit pas de s'occuper que des animaux, mais aussi des animaux. Cet essai lumineux met à la portée de tous les connaissances actuelles sur les animaux, et sur la façon dont nous les traitons. Une invitation à changer nos comportements et nos mentalités.

 

Extraits :

Dans un essai non publié, On the Vegetable Système of Diet (« Sur le régime végétarien »), le grand poète anglais Shelley déclara que faire souffrir les animaux afin de consommer leur chair était « préjudiciable à la paix de société humaine (1) ». Dans son poème intitulé Queen Mab, Shelley imagine qu’un jour l’homme aura « cessé de tuer l’agneau qui le regarde en face et de dévorer horriblement ses chairs mutilées (2) ». Écologiste avant l’heure, il ajoute que « la viande dont se gorgent les riches est littéralement du grain volé de la bouche des pauvres » puisque la quantité de matière végétale nutritive nécessaire pour engraisser un bœuf fournirait dix fois plus de moyens de subsistance si elle était utilisée pour faire pousser des végétaux comestibles. Il soutenait qu’à mesure que la population humaine allait augmenter, il faudrait en venir à un régime végétarien qui, seul, pourrait subvenir aux besoins accrus des humains. Malthus, qui pensait que l’abandon de la viande était une éventualité souhaitable, se rallia à son point de vue. En 1881, le dramaturge George Bernard Shaw, inspiré par la lecture des écrits de Shelley, devint végétarien et fut bientôt suivi par Léon Tolstoï. Tous ceux qui ont ainsi parlé en faveur de la cause animale – Voltaire, Shaftesbury, Bentham, Mill et Shaw – étaient aussi les plus ardents avocats du respect des droits de l’homme.

Ces idées furent reprises de manière plus rigoureuse en 2003, par Colin Tudge, un chercheur de la London School of Economics, qui montra que le monde serait à court d’espace agricole si les niveaux croissants de la production de viande ne diminuaient pas (3).

(1) Shelley (P. B.), The Complete Works of Percy Bysshe Shelley, édité par Roger Ingpen et Walter E. Peck, Gordian Press, 1965. Cité par Stuart (T.), op. cit., Kindle, 8342.

(2) D’après Élisabeth de Fontenay, dans Cyrulnik (B.) et al., op. cit. Kindle, 1849.

(3) Tudge (C.), So Shall We Reap : What’s Gone Wrong with the World’s Food and How to Fix it, Penguin UK, 2004.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 60 et 61

 

Effets de l’élevage industriel et de l’alimentation carnée sur la pauvreté, l’environnement et la santé

Avant même de considérer les questions morales, ceux qui aiment manger de la viande et sont prêts à se satisfaire du fait que l’on massacre des milliards d’animaux par an pour s’en nourrir, devraient se soucier, pour eux et leurs enfants, des conséquences de la surconsommation de viande et de son corollaire, l’élevage et la pêche industriels (1). Les animaux sont les premières victimes et doivent être protégés pour eux-mêmes : si plus de 60 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins sont tués chaque année pour notre consommation, les êtres humains et l’environnement pâtissent également de cette situation. 775 millions de tonnes de maïs et de blé, ainsi que 200 millions de tonnes de soja (90% de la production mondiale), qui pourraient nourrir les habitants des pays où ils sont cultivés, sont consacrées chaque année à l’alimentation du bétail destiné à la production de viande dans les pays développés, ce qui ne fait qu’aggraver la précarité des populations les plus pauvres (2). De plus, les conclusions des recherches scientifiques présentées par plusieurs rapports de synthèse des Nations Unies (GIEC et FAO (3)), de l’Institut Worldwatch et d’autres encore indiquent que l’importance démesurée accordée à la production industrielle d’animaux a des impacts négatifs importants sur l’environnement, c’est-à-dire sur le sort des générations à venir et, dès maintenant, sur la santé humaine. Qu’on en juge au vu de ces quelques chiffres :

- L’élevage contribue à 14,5% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, en deuxième position après les bâtiments (4) et avant les transports.

- Pour produire 1 kg de viande, il faut utiliser 10 kg d’aliments qui pourraient nourrir les populations des pays pauvres qui les produisent (5).

- 60% des terres disponibles dans le monde sont consacrées à l’élevage.

- L’élevage à lui seul consomme 45% de toute l’eau destinée à la production d’aliments.

- En réduisant la consommation de viande, on pourrait éviter 14% des décès humains dans le monde.

(1) Ce chapitre est une version augmentée et mise à jour du chapitre 34 « Un retour de flamme », de Ricard (M.), Plaidoyer pour l’altruisme, op. cit.

(2) Globalement, selon une étude portant sur 70 pays, publiée par l’Organisation internationale du travail sous l’égide des Nations unies, depuis le début des années 1900, les inégalités de revenu ont continué de se creuser dans la plupart des régions du monde.

(3) GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (International Pannel on Climate change ou IPCC); FAO, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization ou FAO).

(4) Il s’agit des émissions liées à la construction (ressources naturelles et dépenses énergétiques utilisées à cet effet) et à l’usage (électricité, chauffage, etc.) des bâtiments publics, industriels et privés.

(5) Ensminger (M. E.), Animal Science, Prentice Hall, 1990.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 87 et 88

 

La viande des pays riches coûte cher aux pays pauvres

L’équation est simple : 1 hectare de terre peut nourrir 50 végétaliens ou 2 carnivores. Pour produire 1 kg de viande, il faut la même surface de terre que pour cultiver 200 kg de tomates, ou 160 kg de pommes de terre, ou 80 kg de pommes (1). Selon une autre estimation due à Bruno Parmentier, économiste et ancien directeur de l’École supérieure d’agriculture, un hectare de bonne terre peut nourrir jusqu’à 30 personnes avec des légumes, des fruits et des céréales, alors que si cet hectare est consacré à la production d’œufs, de lait ou de viande, il ne peut plus nourrir que 10 personnes (2).

Pour obtenir 1 calorie de viande de bœuf par élevage intensif, il faut de 8 à 26 calories d’aliments végétaux, qui auraient pu être consommées directement par l’homme (3). En plantant de l’avoine, on obtient six fois plus de calories par hectare qu’en consacrant cet hectare à produire de la viande de porc, et vingt-cinq fois plus que pour la viande de bœuf. Le rendement est donc déplorable. Il n’est pas étonnant que Frances Moore Lappé ait qualifié ce genre d’agriculture d’« usine de protéines à l’envers (4) ».

L’élevage, nous l’avons vu, consomme chaque année 775 millions de tonnes de blé et de maïs qui suffiraient à nourrir convenablement les 1,4 milliard d’êtres humains les plus pauvres (5). En 1985, pendant la famine en Éthiopie, alors que la population mourait de faim, ce pays exportait des céréales pour le bétail anglais (6). Aux États-Unis, 70 % des céréales vont aux animaux d’élevage, en Inde, seulement 2% (7).

Manger de la viande est donc un privilège de pays riche qui s’exerce au détriment des pays pauvres. Depuis trente ans, tandis que la consommation de viande explosait, le nombre de personnes sous-alimentées a doublé. Selon la FAO et Action contre la Faim, plus de 900 millions de personnes souffrent actuellement de malnutrition, et un enfant meurt toutes les six secondes par manque de nourriture alors que nous produisons, à l’échelle mondiale, assez de calories pour nourrir tout le monde (8). Comme l’explique Jocelyne Porcher, chargée de recherches à l’INRA et l’une des plus éminentes spécialistes de la question : « Les systèmes industriels de production animale ne visent qu’à générer du profit. Ils n’ont pas d’autre vocation. Ils n’ont pas pour objectif premier de « nourrir le monde », contrairement à ce que voudraient faire croire de nombreux éleveurs. Nous savons tous très bien que si les filières industrielles poussent nos enfants, via la publicité, à ingurgiter du saucisson pour leur quatre-heures […], leur intérêt ne va pas jusqu’aux 900 millions de personnes sous-alimentées dans le monde. Ce qui intéresse les filières industrielles, c’est bien évidemment le monde « solvable ». »

(1) Rifkin (J.), La Troisième Révolution industrielle, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2012. Dans Sans viande et sans regrets, Frances Moore-Lappé souligne qu’une acre de céréales donne cinq fois plus de protéines que la même acre utilisée pour produire de la viande ; une acre de légumineuses en donne dix fois plus, et une acre de légumes feuillus quinze fois plus. Moore-Lappé (F.), Diet for a Small Planet, Ballantine, 1971, p.4-11. Trad. Française : Sans viande et sans regrets, Éditions L’Étincelle, 1976. Voir également Doyle (J.), Altered Harvest : Agriculture, Genetics and the Fate of the World’s Food Supply, Viking Press, 1985. Ainsi que Robin (M.-M.), Les Moissons du future : Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, La Découverte, 2012.

(2) Parmentier (B.), Nourrir l’humanité : Les Grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXIe siècle, La Découverte, 2009, p. 38. Cité par Caron (A.), No steak, op. cit., Kindle, 5168. Le rendement sera encore plus faible si cette même surface est consacrée à la production de viande rouge.

(3) Foer (J. S.), Faut-il manger les animaux?, op. cit., p. 265 et note 105. Calcul basé sur des sources gouvernementales et celles d’universités américaines. Selon des chiffres fournis par Aymeric Caron, il faut entre 3 et 4 calories végétales pour produire une calorie de viande de poulet, entre 5 et 7 calories végétales pour une calorie de viande de cochon, entre 9 et 11 calories végétales pour une calorie de viande de bœuf ou de mouton. Caron (A.), No steak, op. cit., Kindle, 558.

(4) Moore-Lappé (F.), op. cit., p. 4-11.

(5) D’après le Worldwatch Institute, une organisation de recherche fondamentale établie aux États-Unis. L’un de leurs projet actuels est une analyse comparative des innovations agricoles écologiquement durables pour réduire la pauvreté et la faim. Plus de 90% des 225 millions de tonnes de soja récoltées dans le monde servent aussi à nourrir les animaux d’élevages. Si toutes les céréales destinées au bétail américain étaient consommées directement, elles pourraient nourrir 800 millions d’humains. Pimentel (D.), Williamson (S.), Alexander (C. E.), Gonzalez-Pagan (O.), Kontak (C.) & Mulkey (S. E.), “Reducing Energy Inputs in the US Food System”, Human Ecology, 36 (4), 2008, p. 459-471.

(6) Compassion in World Farming. Cité par Marjolaine Jolicoeur – AHIMSA, 2004.

(7) D’après l’United States Department of Agriculture – Foreign Agricultural Service, USDA-FAS, (1991).

(8) Action contre la faim. Selon la FAO, le nombre de personnes sous-alimentée dans le monde en 2010 a atteint 925 millions, soit une augmentation de presque 9% par rapport à la moyenne 2006-2008. Le Programme alimentaire mondial (PAM) donne le même chiffre. Cité par Caron, (A.), op. cit., p. 494 et Kindle 5151-5153.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 90 à 92

 

Consommation de viande et santé humaine

De nombreuses études épidémiologiques ont établi que manger de la viande, surtout de la viande rouge et des charcuteries, augmente le risque de cancer du côlon et de l’estomac, ainsi que des maladies cardio-vasculaires.

Une étude menée par l’institut EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition), portant sur 521 000 individus, a montré que les participants qui mangeaient le plus de viande rouge avaient 35% de risques supplémentaires de développer un cancer du côlon que ceux qui en consommaient le moins (1).

Selon le rapport des Nations unies sur le Développement humain (2007-2008), le risque de cancer colorectal diminue d’environ 30% chaque fois que l’on réduit de 100 grammes la consommation quotidienne de viande rouge. Les pays grands consommateurs de viande rouge comme l’Argentine et l’Uruguay sont également ceux où les taux de cancer du côlon sont les plus élevés au monde (2). La consommation de viandes traitées (charcuterie) a été, quant à elle, associée à une augmentation du risque de cancer de l’estomac.

D’après une autre étude publiée à l’université d’Harvard en 2012 par An Pan, Frank Hu et leurs collègues, portant sur plus de 100 000 personnes suivies pendant de nombreuses années, la consommation quotidienne de viande est associée à un risque accru de mortalité cardiovasculaire de 18% chez les hommes et de 21% chez les femmes, tandis que la mortalité par cancer représente respectivement 10% et 16% (3). Chez les gros consommateurs de viande rouge, le simple fait de remplacer la viande par des céréales complètes ou d’autres sources de protéines végétales diminue de 14% le risque de mortalité précoce.

À cause du phénomène de bioconcentration, la viande contient environ quatorze fois plus de résidus de pesticides que les végétaux, les produits laitiers cinq fois plus (4). Les polluants organiques persistants s’accumulent en effet dans les tissus graisseux des animaux et entrent ainsi dans l’alimentation humaine. Ces polluants organiques se retrouvent également dans la chair des poissons d’élevage, nourris d’aliments concentrés fabriqués entre autres à partir de protéines animales. Ces molécules sont non seulement cancérigènes, mais aussi toxiques pour le développement du système nerveux du fœtus et des jeunes enfants (5).

Aux États-Unis, 80% des antibiotiques sont utilisés dans le seul but de maintenir en vie des animaux dans les systèmes de production industrielle jusqu’au moment où ils seront tués. Les grandes entreprises de production animale ne pouvant pas traiter individuellement les individus malades, on ajoute des quantités massives d’antibiotique dans leurs aliments. De 25 à 75% de ces substances se retrouvent dans les rivières, la terre et l’eau potable, favorisant chez l’homme des résistances croissantes aux antibiotiques et provoquant d’autres effets indésirables.

Les auteurs d’une étude anglaise réalisée sur 65 000 personnes dont 17 000 végétariens ou véganes, concluent : « Les gouvernements qui désirent mettre à jour leur définition d’une « diète santé et durable » doivent recommander de diminuer la consommation de produits animaux (6). »

Les assureurs ne s’y trompent pas : aux États-Unis, Kaiser Permanente, une importante société d’assurance-maladie, avec plus de 9 millions de membres, incite les médecins à « recommander une diète à la base de végétaux à tous leurs patients ». Au Royaume-Uni, une assurance-vie propose même 25% de rabais pour les végétariens et les végétaliens.

(1) Epic (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition). Rapport prepare sous la direction d’Elio Riboli (2005). Une autre étude parue dans Archives of Internal Medicine et portant sur 500 000 personnes montre que 11% des décès chez les hommes et 16% chez les femmes pourraient être évités par une réduction de la consommation de viande rouge. Sinha (R.), Cross (A. J.), Grau-bard (B. I.), Leitzmann, (M. F.) & Schatzkin (A.), « Meat Intake and Mortality : A Prospective Study of Over Half a Million People », Archives of Internal Medicine, 169 (6), 2009, p.562.

(2) Lambin (É.), op. cit., p.78

(3) Pan (A.), Sun (Q.), Bernstein (A. M.), Schulze (M. B.), Manson (J. E.), Stampfer (M. J.), Hu (F. B.), “Red Meat Consumption and Mortality : Results from 2 Prospective Cohort Studies”, Archives of Internal Medicine, 172 (7), 2012, p.555. Ces analyses prennent en compte les facteurs de risque de maladie chroniques, l’âge, l’indice de masse corporelle, l’activité physique, les antécédents familiaux de maladies cardiaques, ou des cancers majeurs.

(4) Haque (R.), Kearney (P. C.) & Freed (V. H.), “Dynamics of Pesticides in Aquatic Environments”, in Pesticides in Aquatic Environments, Springer US, 1977, p. 39-52. Ellgehausen (H.), Guth (J. A.) & Esser (H. O.), “Factors Determining the Bioaccumulation Potential of Pesticides in the Individual Compartments of Aquatic Food Chains”, Ecotoxicology and Environmental Safety, 4 (2), 1980, p. 134-157.

(5) Lambin (É.), op. cit., p.80.

(6) Peter Scarborough et al., “Dietary Greenhouse Gas Emissions of Meat-Eaters, Fish-Eaters, Vegetarians and Vegan in the UK”, Climatic Change, vol. 125, n°2, 2014, p. 179-192. Cité par Gilbert (M.), op. cit., p. 85

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 102 à 104

 

Virgin Butler, un ancien emloyé d’un « petit » abattoir de la chaîne Tyson Food, qui à l’époque de ce témoignage, en 2002, fournissant la chaîne de restauration rapide KFC, témoigne (1) :

La machine à tuer ne parvient jamais à trancher la gorge de tous ceux qui défilent, surtout de ceux qui n’ont pas été correctement insensibilisés par le bac électrique. Il y a donc un « tueur » dont la tâche consiste à attraper ces poulets de manière à éviter qu’ils soient ébouillantés vivants dans le chaudron. (Évidemment, le tueur ne peut les attraper tous.)

Voici la situation : votre supérieur vous informe que cette nuit c’est vous qui êtes de service dans la salle de mise à mort. Vous vous dites, « Merde! Cette nuit, ça va être dur! » Quel que soit le temps dehors, il fait chaud dans la salle de mise à mort, entre 32 et 38 degrés. Les chaudrons maintiennent aussi le taux d’humidité autour de 100%. La vapeur d’eau forme dans l’air une sorte de voile permanent. Vous mettez votre tablier en plastique pour vous couvrir tout le corps et le protéger contre le sang qui gicle, contre l’eau chaude qui asperge la lame de la machine à tuer et nettoie le sol. Vous mettez vos gants d’acier et prenez le couteau. […]

De la pièce d’à côté viennent les cris des poulets en train d’être suspendus par les pattes dans les pinces d’aciers, ainsi que le cliquettement de ces pinces. Vous entendez le bruit des moteurs qui font avancer les poulets sur la chaîne. Le tout est tellement fort que vous pouvez hurler sans vous entendre vous-même. (J’ai essayé, juste pour voir.) Vous communiquez donc par signer si quelqu’un vient dans votre salle, mais cela n’arrive pas souvent, on n’y vient que par obligation. […]

Les poulets arrivent à la vitesse de 182 à 186 par minute. Il y a du sang partout… sur votre visage, sur votre cou, vos bras, sur toute la surface de votre tablier. Vous êtes couvert de sang.

Vous ne pouvez pas les prendre tous, mais vous essayez. Chaque fois que vous en manquez un, vous « entendez » les cris terribles qu’il fait en se débattant dans le chaudron, se heurtant aux parois. Merde, entre un « poulet rouge ». Vous savez que pour chaque poulet que vous voyez souffrir ainsi, il y en a jusqu’à dix que vous n’avez pas vus. Vous le savez, tout simplement. […]

Au bout d’un moment, l’ampleur démesurée des meurtres que vous accomplissez et du sang dans lequel vous baignez vous affecte vraiment, surtout si vous ne parvenez pas à débrancher toutes vos émotions et à vous transformer en un zombie de la mort. Vous avez l’impression d’être un rouage dans une grande machine de mort. C’est ainsi d’ailleurs qu’on vous traite, pour une grande part. […] Il n’y a que vous et les poulets en train de mourir. […] Vous êtes en train d’assassiner des oiseaux sans défense par milliers – 75 000 à 90 000 par nuit. Vous êtes un tueur.

Vous ne pouvez vraiment en parler à personne. Les gars avec qui vous travaillez vous prendront pour un tendre. Votre famille et vos amis ne veulent pas en entendre parler. Cela les met mal à l’aise, ils ne savent pas très bien que dire ni que faire. Ils peuvent même vous lancer des regards bizarres. Certains ne veulent plus trop vous fréquenter quand ils savent ce que vous faites pour vivre. Vous êtes un tueur. […]

Vous vous mettez à ressentir un dégoût envers vous-même, envers ce que vous avez fait et continuez à faire. Vous avez honte de dire aux autres ce que vous faites la nuit pendant qu’eux dorment dans leur lit. Vous êtes un tueur. […]

Vous finissez par débrancher toutes les émotions. […] Vous avez des factures à payer. Il faut manger. Mais vous ne voulez pas de poulet. Ça, il faut vraiment que vous ayez faim pour en manger. Vous savez de quoi est faite chaque bouchée. […]

Vous vous sentez à part de la société, vous n’avez pas l’impression d’en faire partie. Vous êtes seul. Vous vous savez différent des autres gens. Ils n’ont pas dans leur tête ces visions de mort horrible. Ils n’ont pas vu ce que vous avez vu. Et ils ne veulent pas le voir. Ni même en entendre parler.

Sinon, comment feraient-ils, après, pour avaler leur bout de poulet?

Bienvenue dans le cauchemar dont je me suis échappé. Je vais mieux maintenant. Je m’adapte avec les autres, au moins la plupart du temps…

(1) Virgil Butler, « Inside the Mind of a Killer”, 31 août 2003, sur le site The Cyberactivist, traduit de l’anglais par David Oivier et publié dans Les Cahiers antispécistes, numéro 23, décembre 2003.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 126 à 128

 

En 2012, un groupe d’éminents chercheurs en neurosciences cognitives, neuropharmacologie, neurophysiologie, neuroanatomie et neurosciences computationnelles – incluant Philip Low, Jaak Panksepp, Diana Reiss, David Edelman, Bruno Van Swinderen, et Christof Koch -, réunis à l’université de Cambridge à l’occasion de la Francis Crick Memorial Conference on Consciousness in Human and non-Human Animals, ont rédigé la Déclaration de Cambridge sur la conscience (1), dans laquelle ils affirment :

L’absence de néocortex ne semble pas empêcher un organisme d’éprouver des états affectifs. Des données convergentes indiquent que les animaux non-humains possèdent les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neuro-physiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à des comportements intentionnels. Par conséquent, la force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non-humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques.

Ils soulignent en particulier :

Les oiseaux semblent représenter, par leur comportement, leur neurophysiologie et leur neuroanatomie, un cas frappant d’évolution parallèle de la conscience. On a pu observer, de manière particulièrement spectaculaire, des preuves de niveaux de conscience quasi-humains chez les perroquets gris du Gabon. Les réseaux cérébraux émotionnels et les micro-circuits cognitifs des mammifères et des oiseaux semblent présenter beaucoup plus d’homologies qu’on ne le pensait jusqu’à présent. De plus, on a découvert que certaines espèces d’oiseaux présentaient des cycles de sommeil semblables à ceux des mammifères, y compris le sommeil paradoxal, et, comme cela a été démontré dans le cas des diamants mandarins, des schémas neurophysiologiques qu’on croyait impossibles sans un néocortex mammalien. Il a été démontré que les pies, en particulier, présentaient des similitudes frappantes avec les humains, les grands singes, les dauphins et les éléphants, lors d’études de reconnaissance de soi dans un miroir.

(1) The Cambridge Declaration on Consciousness, traduit de l’anglais par François Tharaud et publié par Les Cahiers antispécistes numéro 35, novembre 2012.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 199 à 200

 

Agents moraux et patients moraux

La philosophie morale fait la distinction entre « agents moraux » et « patients moraux ». Les agents moraux sont ceux qui sont capables de distinguer le bien du mal et de décider de faire ou de ne pas faire ce que leur dicte la moralité telle qu’ils la conçoivent. On considère donc qu’ils sont responsables de leurs actions. Compte tenu du fait qu’ils peuvent également être l’objet d’actes bons ou mauvais de la part d’autres agents moraux, ils participent à une relation de réciprocité.

Les patients moraux sont ceux qui ne font que subir, de la part des agents moraux, des actions bonnes ou mauvaises, mais sont eux-mêmes incapables de formuler des principes moraux et de délibérer sur le bien-fondé de leurs actes avant de les mettre à exécution.

Les humains adultes qui jouissent de toutes leurs facultés intellectuelles sont à la fois agents et patients moraux. En revanche, les enfants en bas âge et les personnes lourdement handicapées mentalement ne sont pas des agents moraux et ne sont pas considérés comme moralement responsables de leurs actes. Ils restent toutefois des patients moraux qui bénéficient, à ce titre, d’un certain nombre de droits.

Les animaux sont généralement considérés comme des patients moraux (1). Si un serpent avale une grenouille, il n’a pas l’intention de faire le mal mais de se nourrir. De même, s’il mord un être humain qui passe à proximité, c’est parce qu’il cherche à se défendre. Lorsqu’un animal s’en prend à un autre patient moral (la grenouille) ou à un agent moral (l’homme), son action ne peut donc pas être jugée en terme de moralité.

Cela n’empêche pas que notre attitude vis-à-vis des animaux est souvent incohérence. En raison du privilège autoproclamé de la domination humaine, explique Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « l’homme peut maltraiter un animal sans que cela soit considéré « mal » (l’animal n’est alors pas considéré comme un patient moral), tout en reprochant à cet animal de se défendre, par exemple, et d’avoir blessé son tortionnaire (l’animal est alors considéré comme un agent moral (2) ».

Si les animaux sont bien des patients moraux, comme le soutiennent les penseurs du Mouvement de libération animal, nous avons donc à leur égard une responsabilité : la manière dont nous les traitons peut faire l’objet d’une évaluation morale, caractérisée de plus ou moins bonne. C’est là, selon J.-B. Jeangène Vilmer, le domaine de l’éthique animale.

Cette distinction permet aux agents moraux de prendre conscience des devoirs qu’ils ont envers les patients moraux. Il leur incombe en effet de faire preuve de sollicitude à l’égard de ceux qui n’ont pas la capacité de formuler et de faire valoir leurs droits, notamment leur droit à vivre et à ne pas souffrir. Il est également important que les lois traduisent en actes cette responsabilité et ces devoirs. On pourrait dire que plus un patient moral est démuni et sans défense, plus les agents moraux ont des devoirs de protection et de soin envers lui. Le degré de vulnérabilité inhérent au patient moral étant proportionnel à l’exigence de protection.

Pour Tom Regan, le principe de respect nous enjoint de traiter tous les individus possédant une valeur intrinsèque en adoptant une conduite qui respecte cette valeur, qu’il s’agisse d’agents ou de patients moraux. Plus encore, nous avons le devoir de ne pas causer de tort aux patients moraux. Enfin, la reconnaissance du droit à un traitement respectueux ne peut être ni plus forte ni plus faible dans le cas des patients moraux qu’elle ne l’est dans le cas des agents moraux (3).

(1) Pour un exposé détaillé, voir Regan, (T.), op. cit., p. 328 et suivantes.

(2) Jeangène Vilmer (J.-B.), op. cit., p. 19-20.

(3) Regan, (T.), op. cit., p. 487, 497, 537.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 351 à 353

 

Frans de Waal conclut : « Cela me ramène à ma vision de la morale “venue d’en bas”. La loi morale n’est ni imposée d’en haut ni déduite de principes soigneusement raisonnés, elle naît de valeurs bien ancrées, qui sont là depuis des temps immémoriaux. La plus fondamentale dérive de la valeur de la vie collective pour la survie. Le désir d’appartenance, l’envie de s’entendre, d’aimer et d’être aimé nous pousse à faire tout ce que nous pouvons pour rester en bons termes avec ceux dont nous dépendons. D’autres primates sociaux partagent cette valeur et s’appuient sur le même filtre entre émotion et action pour parvenir à un modus vivendi mutuellement agréable. […] La morale a de bien plus humbles origines, discernables dans le comportement d’autres animaux. […] Notre passé évolutionniste nous tend une main puissante et secourable, sans laquelle nous ne serions jamais parvenus aussi loin (1). »

(1) Waal (F. de), op. cit., p. 311 et 327.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 356 à 357

 

La jouissance d’un droit exige-t-elle la réciprocité?

Nombre de penseurs, principalement ceux de tendance humaniste, dénient tout droit aux animaux, invoquant le fait que ces derniers sont incapables de réciprocité. C’est encore l’avis de Francis Wolff qui déclare :

Réduire un homme ou une femme en esclavage, ne pas reconnaître autrui comme une personne, le traiter comme un moyen de satisfaire ses besoins, refuser les principes de réciprocité ou de justice, violer les principes de liberté, d’égalité, de dignité des êtres humains, cela ne relève pas de la diversité culturelle ni même de la chatoyante relativité des mœurs, mais simplement de la barbarie. Et ces principes universels ne peuvent pas s’appliquer aux animaux par définition, parce qu’ils supposent la reconnaissance d’autrui comme d’un égal, la réciprocité sans laquelle il n’y aurait pas de justice (1).

Un tel point de vue pose la question cruciale du refus de certains de respecter les droits des plus vulnérables. Peut-on reprocher à un nourrisson, à de très jeunes enfants ou à des personnes souffrant de pathologies mentales de ne pas respecter les droits des humains sains d’esprit? Des parents vont-ils punir leur bébé qui pleure la nuit et ne respecte pas leur droit au sommeil? Un schizophrène qui, en pleine crise de déréalisation, se jette sur un soignant pour le frapper fera l’objet de soins et non de réactions agressives. Dira-t-on de ces êtres qu’ils ne respectent pas nos droits? L’immaturité temporaire des uns et la pathologie avérée des autres rendent de facto caduque toute notion de réciprocité des droits. La tendresse, le soin et l’empathie sont les réponses que nous devons donner à ces personnes plutôt que l’exigence irréaliste d’une quelconque réciprocité. Dans La philosophie des droits des animaux, Tom Regan conclut : « Ces animaux n’ont effectivement pas le devoir de respecter nos droits; mais cela n’efface ni ne diminue notre obligation de respecter les leurs (2). »

Notons également qu’il semble quelque peu contradictoire de parler de principes « universels », comme le fait Francis Wolff, en ajoutant que ces principes ne s’appliquent pas aux animaux. La notion de droit peut-elle être restreinte à la seule espèce humaine alors qu’il existe au moins 1,6 million d’espèces animales? Même si nous sommes particulièrement intelligents et dotés de nombreuses facultés, un peu d’humilité serait de mise.

(1) Wolff (F.), op. cit. Kindle, 767.

(2) Regan (T.), The Philosophy of Animal Rights.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux – vers une bienveillance pour tous, pages 362 à 363

 

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