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La pilule rouge
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20 février 2015

Trinh Xuan Thuan

Trinh-Xuan-Thuan[1]

Trinh Xuan Thuan est originaire de Hanoï, au Vietnam. Ses études secondaires au lycée français de Saigon achevées, il entreprend des études d'astrophysique au California Instituts of Technology (Caltech), puis à l'université de Princeton aux Etats-Unis. Depuis 1976, il est professeur d'astrophysique à l'université de Virginie. Spécialiste de l'astronomie extragalactique, il a écrit plus de 230 articles sur la formation et l'évolution des galaxies. Il est l'auteur, entre autres, de La Mélodie secrète (Fayard, 1988), Le Destin de l’Univers (Découvertes Gallimard, 1992), Le Chaos et l'Harmonie (Fayard, 1998), L'infini dans la paume de la main (NiL, 2000), Origines (Fayard, 2003), le Dictionnaire amoureux du Ciel et des Etoiles (Pion, 2009), Le Cosmos et le Lotus (Albin Michel, 2011) et Désir d'infini (Fayard, 2013). Réputé pour la clarté de ses exposés et son ouverture d'esprit dans les domaines scientifique et philosophique, tous ses ouvrages ont rencontré la faveur d'un large public et ont été traduits dans de nombreux pays.

Voici ci-dessous un lien pour voir un documentaire présentant une interview de Trinh Xuan Thuan sur les concepts qu'il développe dans ses livres :

https://www.youtube.com/watch?v=fZWxh9U5EBY

 

 

La mélodie secrète

 

Titre : La mélodie secrète, et l’homme créa l’univers

Auteur : Trinh Xuan Thuan

Genre : Astronomie

Date : 1988

Pages : 369

Éditeur : Gallimard

Collection : Folio essais

ISBN : 2-07-032623-3

 

L'Univers nous sera-t-il un jour révélé dans la totalité de sa réalité? Parviendrons-nous à percer le secret de sa vraie mélodie? Comment l'infiniment petit a-t-il accouché de l'infiniment grand et comment l'univers tout entier, avec ses centaines de milliards de galaxies, a-t-il jailli d'un « vide microscopique »?

Comment, grâce à l'alchimie créatrice des étoiles et à l'existence des planètes, la vie et la conscience ont-elles surgi?

Telles sont quelques-unes des questions que ce livre aborde. Il s'adresse à l’« honnête homme », curieux du monde qui l'entoure et intéressé par les progrès récents dans l'étude du Cosmos, sans être pour autant équipé du bagage scientifique du spécialiste. En retraçant l'évolution, à travers les âges, de la vision de l'Univers que s'est faite l'homme, il accorde une attention particulière à l'univers actuel, celui du big bang. Mais il sait dépasser l'argument proprement scientifique pour aborder les questions qui se posent inévitablement dans toute discussion sur la création de l'Univers : Sommes-nous là par hasard ou notre présence dans l'Univers implique-t-elle l'existence de quelque Créateur?

 

 

La science et la religion ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Au contraire, elles nous apportent des visions complémentaires du monde, qui enrichissent notre existence. Mais il faut bien prendre soin de ne pas les mêler : Dieu ne se démontre pas scientifiquement et la religion n’a rien à dire sur des observations et expériences scientifiques. S’il prend bien soin de respecter cette séparation, et d’appliquer rigoureusement la méthode scientifique dans ses recherches, un chercheur peut et a le droit de confesser publiquement ses croyances religieuses. Du moins, je le crois, contrairement à certains de mes collègues.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, Préface pages 1 et 2

 

Je me dis qu’il est bien extraordinaire que la simple vue du firmament étoilé ait pu faire naître en moi toutes ces pensées, et qu’il est merveilleux que mon cerveau ait tout de suite ressenti l’irrésistible besoin d’organiser les fragments d’information sur le monde extérieur qui me sont communiqués par mes sens en un schéma unifié et cohérent. La nature n’est pas muette. Tel un orchestre lointain, elle nous fait constamment parvenir des fragments de musique et des notes éparses. Mais elle ne veut pas tout nous livrer sur un plateau. La mélodie qui unit les fragments de musique manque. Le fil conducteur des notes est dissimulé. C’est à nous de percer les secrets de cette mélodie cachée pour l’entendre dans toute sa radieuse beauté.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, page 12

 

Le temps perdu de Proust

Nous disons « le temps passe, il s’écoule ». Nous nous représentons le temps comme l’eau d’une rivière qui coule, les flots d’un fleuve qui passe. Sur notre navire immobile et ancré dans le présent, nous regardons la rivière du temps qui passe, éloignant les flots du passé et apportant les vagues du futur. Nous accordons au temps une dimension spatiale et c’est cette représentation du mouvement du temps dans l’espace par rapport à nous qui nous donne la sensation du passé, du présent et du futur. Le présent seul existe « maintenant ». Lui seul a une réalité palpable. Le passé s’en est allé et s’est perdu dans nos souvenirs. Marcel Proust en allant à la recherche de ce temps perdu nous a enchanté avec ses jeunes filles en fleurs et ses madeleines. Le futur, encore à venir, n’existe que dans nos rêves et nos espoirs.

Ce temps subjectif ou psychologique, nous le portons tous en nous. Cette distinction entre le passé, le présent et le futur règle notre vie et constitue le fondement de notre langage avec ses verbes conjugués au passé ou au futur. Nous sommes convaincus que le passé révolu ne peut plus être modifié tandis que nous aimons croire que le futur peut être modelé par nos actions. Pourtant, cette notion du passage de temps, de son mouvement par rapport à notre conscience immobile (ou, de manière équivalente, de notre mouvement par rapport au temps immobile), s’adapte mal au langage du physicien moderne. Si le temps a un mouvement, quelle est sa vitesse? Une question évidemment absurde. D’autre part, la notion que seul le présent existe, qu’il est seul réel, n’est pas compatible avec la destruction du temps rigide et universel par la relativité. Le passé et le futur doivent être aussi réels que le présent puisque Einstein nous dit que le passé d’une personne peut être le présent d’une autre personne ou encore le futur d’une troisième personne.

Pour le physicien, le temps n’est plus marqué par une succession d’événements. Les distinctions entre passé, présent et futur sont désormais inutiles. Tous les instants se valent. Il n’existe plus de moment privilégié. Si je lance une balle en l’air, il me suffit de savoir sa position et sa vitesse initiales pour calculer sa trajectoire. Cette trajectoire sera toujours la même, que la balle soit lancée à six heures du matin ou à huit heures du soir, le 1er janvier 1988 ou le 31 décembre 1998. Parce que les notions de passé, de présent et de futur sont abolies, le temps n’a plus besoin d’être en mouvement. Il ne s’écoule plus. Il est simplement là, immobile, comme une ligne droite s’étendant à l’infini dans les deux directions. Le flot du temps psychologique a fait place à l’inertie tranquille du temps physique. La question de la vitesse du temps qui s’écoule ne se pose plus.

Pourquoi une telle différence entre les deux temps? Probablement parce que la physique ne sait pas encore décrire les processus biologiques et psychiques. C’est notre activité cérébrale qui nous fait sentir que le temps s’écoule. Le secret du temps qui passe réside dans notre cerveau. Il ne sera dévoilé que quand nous comprendrons comment nous sentons, pensons et créons.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 89 et 90

 

La défaite du bon sens

A ce point, vous vous grattez la tête et pensez : « Tout ce que je viens de lire sur le temps et l’espace est bien étrange. Le temps qui a perdu son caractère universel, qui se dilate ou se contracte selon mes mouvements. Et l’espace qui en fait de même. Et la gravité qui se mêle à la danse et déforme aussi l’espace et le temps. Et ces trous noirs où toute l’éternité peut passer en un clin d’œil. Tout cela met à mal mon intuition et mon bon sens. Je ne comprends pas! » Cette réaction est bien naturelle. Nous éprouvons tous un besoin instinctif de ramener dans le cadre du bon sens quotidien des concepts nouveaux et étrangers, de réduire la réalité à des images familières. Quand cela ne marche pas, quand notre intuition est bafouée, quand nos idées et nos croyances les plus chères sont foulées au pied, quand notre « bon sens » est balayé d’un revers de main, alors nous levons les bras au ciel et crions : « Je ne comprends pas! »

Et pourtant, il n’y a rien à comprendre. La nature est ainsi faite. Il faut l’accepter comme elle est. Notre intuition et notre bon sens fondés sur les évènements quotidiens sont de bien mauvais guides quand il s’agit de l’infiniment petit ou de l’infiniment grand, de l’atome ou de l’univers. Einstein a pu, en rejetant le bon sens quotidien, construire cet immense monumental de la pensée qu’est la relativité.

Une théorie scientifique est bonne, non parce qu’elle est en accord avec l’intuition ou le bon sens, mais parce qu’elle décrit correctement la nature, qu’elle prédit des phénomènes qui peuvent être observés et vérifiés. Que le temps se dilate avec la vitesse ne fait plus aucun doute. Le temps s’allonge chaque fois qu’une particule subatomique est lancée à une vitesse proche de celle de la lumière dans des accélérateurs de particules, tel celui du Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) à Genève. On peut le vérifier en accélérant des particules ayant une durée de vie très courte, qui se désintègrent après quelques millionièmes de seconde. On constate que la durée de vie de ces particules est multipliée par dix, vingt, cent… selon la vitesse à laquelle elles sont accélérées, et toujours en accord avec les prédictions de la relativité. Le temps a ralenti pour ces particules. Elles vivent plus longtemps, que cela nous plaise ou non.

La matière courbe l’espace. Voilà encore une autre prédiction de la relativité contre laquelle notre bon sens se rebelle, mais qui a été vérifiée dès 1919 au cours d’une expédition qui avait pour but d’observer une éclipse solaire et qui est restée fameuse dans les annales de la physique. L’idée, proposée par Einstein lui-même, était de profiter de l’absence de lumière solaire masquée par la Lune pour photographier les étoiles lointaines dont les positions projetées dans le ciel étaient très proches du Soleil. Si l’espace est courbé par le champ de gravité du Soleil, la trajectoire de la lumière de ces étoiles lointaines doit être également courbée. Cette courbure de trajectoire doit se traduire par un léger déplacement angulaire de leurs images par rapport aux images des mêmes étoiles prises six mois plus tard, quand la Terre est de l’autre côté du Soleil, et que la lumière de ces étoiles ne doit plus traverser le champ de gravité solaire pour nous parvenir. Le déplacement angulaire prédit par Einstein était minuscule (mais néanmoins deux fois plus grand que celui prédit par Newton), et égal à l’angle sous-tendu par votre pouce s’il était à un kilomètre de distance. Mais il put mesurer et était en accord avec la relativité. Cette confirmation observationnelle éclatante établit la relativité comme une théorie avec laquelle il fallait compter et propulsa Einstein en faîte de la gloire. Depuis, la déflexion de la lumière par le Soleil a été mesurée maintes fois et avec beaucoup plus de précision par des radio-astronomes utilisant la lumière radio de sources radio lointaines et, chaque fois, la relativité s’est révélée juste. L’espace se plie à la matière, que nous le voulions ou non.

Les horloges atomiques mesurent le temps de la manière la plus précise qui soit. Synchronisez deux horloges atomiques, laissez-les côte à côte et demandez à vos descendants lointains de revenir plusieurs milliards d’années plus tard. Ils constateront que les deux horloges ne diffèreront que de moins d’une fraction de seconde. Utilisant ces produits fabuleux de la technologie moderne, une équipe de physiciens a démontré que la gravité ralentit le temps. Une horloge atomique est emportée par avion dans l’espace où la gravité terrestre est plus faible qu’au sol. Au retour, on compare l’heure qu’elle indique à celle d’une horloge restée au sol. Cette dernière retarde de quelques milliardièmes de secondes. Le temps de l’horloge restée au sol dans un champ de gravité plus grand a passé plus lentement. De nouveau, le relativité triomphe sur le bon sens.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 102 à 104

 

L’observation crée la réalité

Un anthropologue débarque aux fins de la forêt amazonienne pour y étudier les mœurs et coutumes d’une tribu indienne. Sa présence même au sein de cette ethnie va être un élément perturbateur. Les Indiens ne se comportent pas de la même façon sous l’œil investigateur du chercheur que lorsqu’ils sont seuls. Le résultat des observations de l’anthropologue sera modifié par le fait même de son acte d’observer. Qui peut se vanter de ne pas avoir, au moins une fois dans sa vie, modifié sa manière d’être face au regard d’un autre?

L’observation modifie la réalité et en crée une nouvelle. Ce qui est quelquefois vrai pour les êtres humains est une loi fondamentale du monde microscopique. Parler d’une réalité « objective » pour l’électron, d’une réalité qui existe sans qu’on l’observe, a peu de sens puisqu’on ne peut jamais l’appréhender. Toute tentative de capture de la réalité objective se solde par un échec cuisant. Celle-ci est irrémédiablement modifiée et se transforme en une réalité « subjective » qui dépend de l’observateur et de son instrument de mesure. La réalité du monde microscopique n’a de sens qu’en présence d’un observateur. Nous ne sommes plus des spectateurs passifs devant le drame majestueux du monde des atomes. Notre présence change le cours du drame. Les notes de musique que les atomes nous envoient se trouvent modifiées du fait même que nous les entendons. La forme que prend la mélodie du monde microscopique est inextricablement liée à notre présence et les équations qui décrivent ce monde doivent inclure explicitement l’acte d’observer.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 133 et 134

 

La dualité de la matière

Parce que l’électron ne pourra jamais nous livrer simultanément le secret de sa position et celui de son mouvement, nous ne pourrons jamais parler d’une trajectoire pour l’électron comme nous parlons de la trajectoire de la Lune autour de la Terre. Nous ne pourrons jamais dire que l’électron va du point A au point B par un chemin bien précis, comme nous parlons d’une automobile qui va de Paris à Lyon par l’autoroute du Sud. Alors comment se rend-il de A à B? En empruntant simultanément tous les chemins possibles de A à B. Tous les chemins mènent à Rome et l’électron les prend tous. Dans un atome, il ne se contente pas de suivre sagement une seule orbite autour du noyau comme les planètes autour du Soleil, mais il virevolte, fait des pirouettes, esquisse des pas de danse et est partout à la fois dans la salle de bal de l’atome. Comment l’électron peut-il être sur tous les chemins et partout en même temps? En revêtant son autre visage, car l’électron, le photon, ou toute autre particule élémentaire, possèdent une double personnalité. Ils sont à la fois particule et onde.

La particule, quand elle est onde, peut se propager dans l’espace vide de l’atome et l’occuper tout entier tout comme des ondes circulaires, causées par une pierre qu’on jette, se propagent et occupent toute la surface de l’étang. Si je n’observe pas, l’électron s’évade de la rigidité du monde déterministe où chacun doit rendre compte de manière précise de sa place et de son mouvement, et il est partout à la fois. Je ne pourrai jamais prédire où il sera à un moment déterminé. Tout au plus pourrais-je estimer la probabilité qu’il sera à tel et tel endroit. Pour cela, il me faudra d’abord calculer la forme de l’onde qui lui est associée en suivant la recette donnée dès 1926 par le physicien autrichien Erwin Schrödinger. L’onde de l’électron, telles les vagues de l’océan, possède une très grande amplitude à certains endroits (ce sont les crêtes des vagues) et une amplitude bien moindre à d’autres (ce sont les creux des vagues). Pour obtenir ensuite la probabilité de rencontrer l’électron, il me faudra suivre les instructions données (également en 1926) par le physicien allemand Max Born, selon lesquelles il me suffirait de calculer le carré de l’amplitude de l’onde. Ainsi, pour maximiser mes chances de rencontrer l’électron, j’ai intérêt à choisir mes lieux de rendez-vous aux crêtes des ondes et à éviter les creux.

Mais, même aux crêtes des ondes, je ne suis jamais certain que l’électron sera au rendez-vous. Peut-être que 2 fois sur 3 (une probabilité de 66%), ou 4 fois sur 5 (une probabilité de 80%), l’électron sera là. Mais la probabilité n’atteindra jamais 100%. La certitude est expulsée du monde atomique et le hasard entre en force. Je lance une pièce de monnaie en l’air. Les lois de la probabilité me disent que la pièce doit retomber en moyenne la moitié des fois pile et l’autre moitié face. Ainsi, si au cours des cinq derniers lancements la pièce est tombée 4 fois face et 1 fois pile, il y a fortes chances que la prochaine fois la pièce retombe pile. Mais je ne peux être certain que cela sera le cas, tout comme je ne peux être sûr de retrouver l’électron au rendez-vous des crêtes.

Le hasard est inhérent è la nature de la matière microscopique. C’est la défaite totale de la certitude. Le grand Einstein, déterministe invétéré et le premier pourtant à reconnaître la dualité onde-particule de la matière, avait bien des difficultés à accepter le grand rôle que jouait le hasard dans le monde des atomes. « Dieu ne joue pas aux dés », disait-il. Mais en cela, il se trompait. Dieu joue aux dés. Les prédictions de la mécanique quantique, qui accorde un rôle majeur au hasard, ont toujours été confirmées par les expériences en laboratoire. Car dire « hasard » ne veut pas nécessairement dire « chaos total » ou « manque de prédictions », ces dernières étant la marque d’une bonne théorie scientifique. Au lieu de prédire des évènements isolés dans le monde macroscopique, tels la chute d’une pomme, le trajet d’une balle de tennis ou le mouvement de la Lune autour de la Terre, comme dans le cas de la mécanique classique de Newton ou Laplace, la mécanique quantique décrit de manière statistique le comportement moyen d’une multitude d’évènements dans le monde microscopique. Incapable de nous indiquer le moment précis où un seul atome de carbone 14 va se désintégrer, elle se rattrape en nous dévoilant combien en moyenne, parmi une foule d’atomes de carbone 14, vont se désintégrer après une attente de 1, de 100 ou de 10000 années. La causalité, ici, n’a plus de sens pour l’individu, mais existe encore pour la collectivité.

Ainsi, le flou quantique est une partie intégrante de la vie d’une particule élémentaire. Avant l’observation, elle est floue parce qu’elle revêt son visage d’onde, ce qui lui permet d’être sur tous les chemins qui mènent à Rome. Après que l’observation l’a capturée, elle reprend son visage de particule. Mais le flou persiste. Parce que l’observation l’a dérangée, la particule refuse de nous livrer simultanément le secret de sa position et de son mouvement.

Votre bon sens se rebelle. Comment un électron peut-il être à la fois particule et onde? Il n’y a rien à comprendre. La nature est ainsi faite. Le caractère double des particules a été vérifié maintes fois dans les laboratoires. Notre expérience de la vie quotidienne n’est pas un bon guide quand il s’agit de l’infiniment petit. Comme Janus, chaque particule a deux visages. Ils représentent deux descriptions également valables de la nature et se complètent l’un l’autre. Dans le paysage atomique, le principe de la complémentarité du physicien danois Niels Bohr vient s’ajouter au principe d’incertitude de Heisenberg.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 134 à 136

Principe de complémentarité : énoncé, par le physicien danois Niels Bohr, selon lequel la matière et le rayonnement peuvent être à la fois onde et particule, ces deux descriptions de la nature étant complémentaires l’une de l’autre. Il constitue une des pierres angulaires de la mécanique quantique.

Principe d’incertitude : énoncé, par le physicien allemand Werner Heisenberg, selon lequel la vitesse et la position d’une particule ne peuvent être mesurées simultanément avec précision, aussi perfectionné l’instrument de mesure soit-il : c’est le flou quantique. Ce principe d’incertitude s’applique aussi à l’énergie d’une particule élémentaire de très courte durée de vie. Le flou de l’énergie permet l’apparition de particules et d’antiparticules virtuelles dans le vide quantique.

 

Tout est possible si on attend

Une question se pose alors. Si le hasard règne en maître dans la vie des atomes individuels, comment se fait-il qu’il disparaisse à l’échelle macroscopique pour céder la place au déterminisme? Après tout, les objets macroscopiques sont faits de particules microscopiques. Pourquoi la Lune ne quitte-t-elle pas tout d’un coup son orbite elliptique autour de la Terre pour aller virevolter et danser autour de Jupiter? Les lois de la mécanique disent qu’en principe cela est possible. Mais la probabilité d’un tel évènement est si minime qu’il ne pourrait arriver que si l’on avait l’éternité devant soi. La clef de la réponse est contenue dans un grand nombre d’atomes (1050) qui compose la Lune. En présence d’un grand nombre de particules, le hasard se neutralise et se fait tout petit au profit du déterminisme. Mais, et c’est là le point important, il n’est jamais complètement absent. Le flou quantique permet en principe à la Lune de faire un tour du côté de chez Jupiter si elle disposait de l’éternité. Mais nos misérables cent années de vie, les 4,6 milliards d’années du système solaire ou même les 15 milliards d’années de l’univers ne sont qu’un bref instant en regard de l’éternité. Ce n’est pas en vous réveillant demain que vous découvrirez la Lune orbitant autour de Jupiter.

De même, le grand nombre d’atomes contenus dans les objets de la vie quotidienne empêche le hasard de se manifester. Si vous posez un livre sur une table, vous ne risquez pas de le retrouver dans la baignoire. Le cambrioleur peut rester longtemps au coin de la rue d’une banque avant que l’argent déposé dans le coffre-fort ne se retrouve dans ses poches. Je ne verrais pas dans les jours à venir la Joconde de Léonard de Vinci quitter le Louvre pour venir dans mon salon. La mécanique quantique dit qu’il y a une probabilité non nulle que cela puisse arriver. Tout est possible à condition d’attendre. Mais l’attente risque d’être très, très longue, et c’est pourquoi les histoires de personnes qui disparaissent à un point de l’espace pour réapparaître à un autre n’appartient qu’aux séries de science-fiction de la télévision.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 136 à 137

 

Dieu et la vie

Vous restez sceptique. Admettons, dites-vous, que les structures de l’univers ont des causes naturelles et nul besoin de l’intervention de Dieu. Mais qu’en est-il de la vie? N’a-t-elle pas besoin d’une cause supranaturelle, de Dieu? L’homme n’est, après tout, qu’une combinaison de 30 milliards de milliards de milliards de particules inanimées. La somme d’une multitude de choses inanimées ne peut être qu’inanimée. Si les espèces humaines, animales et végétales sont vivantes, c’est que Dieu a ajouté à la combinaison d’atomes un ingrédient essentiel, la vie.

Cet argument ne tient pas compte du fait que le tout peut être plus grand que la somme des composantes individuelles, qu’il peut acquérir au niveau macroscopique des propriétés qui sont absentes au niveau microscopique. Vous admirez une toile pointilliste du peintre Georges Seurat. Les innombrables points de peinture, tout chatoyants de couleurs, n’évoquent rien si vous les contemplez individuellement. Ce n’est qu’en reculant et en contemplant le tableau dans son ensemble que les personnages et les paysages se dessinent et prennent forme, et que la peinture acquiert sa signification. De même, les notes de musique isolées nous laissent froids. Ce n’est que lorsqu’elles sont assemblées en une symphonie ou une sonate par le génie d’un Beethoven ou d’un Mozart que la musique nous émeut. Les mots du dictionnaire sont froids et impersonnels, mais mis en poèmes par Rimbaud ou Baudelaire, ils nous touchent profondément. Le tout a des qualités que les parties n’ont pas. De même, on peut imaginer des atomes parfaitement inanimés qui se combinent selon des lois physiques tout à fait naturelles et qui, passé un certain seuil de l’organisation et de la complexité, engendrent la vie sans avoir recours à une intervention divine. La vie est le résultat d’un phénomène collectif (ou holistique). On ne peut la réduire à un ensemble de cellules, d’hélices d’ADN ou de chaînes d’atomes.

Nous sommes encore dans l’ignorance la plus complète des processus qui ont engendré la vie à partir d’atomes inanimés. Quel degré minimal de complexité et d’organisation doit être atteint pour que la vie surgisse? Comment parvenir à cette complexité par les voies de la physique et de la chimie? Le vie a probablement commencé son ascension, nous l’avons vu, dans l’atmosphère primitive de la Terre. En 1953, les chimistes américains Stanley Miller et Harold Urey ont, au cours d’une expérience restée célèbre, reproduit dans leurs éprouvettes l’atmosphère terrestre primitive : mélange d’ammoniac, de méthane, d’hydrogène et d’eau, le tout soumis à des décharges électriques pour simuler les orages qui grondaient sur la Terre, il y a 4,6 milliards d’années. Après quelques jours, des molécules bases de la vie, les acides aminés, ont fait leur apparition. Miller et Urey étaient sur la bonne voie pour déchiffrer le mystère de la vie. Mais il y a très loin des acides aminés aux hélices enchevêtrées de l’ADN capables de se reproduire. L’origine de la vie reste l’une des plus grandes énigmes scientifiques. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que cette origine n’est pas incompatible avec les lois naturelles connues, qu’elle ne nécessite pas nécessairement une intervention divine.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 304 à 305

 

Dieu et la conscience

Une fois créée, la vie va s’accélérer d’elle-même pour arriver à l’intelligence et à la conscience, à la raison et à l’esprit. Il y a 3,5 milliards d’années, les premières formes de vie, les premières cellules vivantes apparaissent sur Terre. Pendant près de 3 milliards d’années, soit environ les trois quarts du temps écoulé depuis la première forme de vie terrestre jusqu’à aujourd’hui, l’évolution est extrêmement lente et le stade monocellulaire n’est pas dépassé. Puis, en moins de 1 milliard d’années, l’évolution passe à la vitesse supérieure : les animaux pluricellulaires (mollusques, poissons, reptiles et mammifères) envahissent la Terre. Ensuite, en moins de 100 millions d’années, soit moins de 3% de l’âge des vivants, trois espèces douées d’une intelligence primaire font leur apparition : primates, dauphins et rats. Et puis, il y a environ 2 millions d’années, apparaît l’Homo sapiens doté d’une conscience et d’une « âme ».

Il est bien difficile de dire à quelle étape précise la conscience a fait son apparition. Les orangs-outangs, les gorilles et les chimpanzés semblent être capables d’éprouver des émotions bien humaines : amour, peines et joies. Ils semblent même avoir un rudiment de langage. Mais sont-ils capables d’abstraction? En tout cas, on ne les voit pas en train de composer fiévreusement des symphonies et des pièces de théâtre, d’écrire des romans, de peindre ou de sculpter… De nouveau, la question se pose : la conscience nécessite-t-elle une intervention divine? Faut-il « injecter » une âme dans un corps fait de milliards d’atomes? Faut-il « greffer » un esprit sur un cerveau composé de milliards de neurones?

De nouveau, la réponse est que ces questions n’ont pas de sens. Formuler ainsi les questions revient à confondre des concepts descriptifs situés à des niveaux complètement différents. Parler des atomes d’un corps ou des neurones d’un cerveau, c’est parler des notes de musique ou des mots du dictionnaire. Parler de la vie et de la conscience, c’est passer à un autre niveau, c’est abandonner la description réductionniste pour adopter la description collective et holistique, c’est se référer à la mélodie d’une symphonie ou à l’intrigue d’un roman. Le corps et l’âme ne sont pas des concepts que l’on peut placer au même niveau descriptif. Les mettre à pied d’égalité (comme l’a fait Descartes en parlant de la dualité corps-âme), c’est s’exposer à des questions absurdes du genre : où est l’âme dans l’espace et le temps? (Descartes croyait que la glande pinéale dans le cerveau était le site de l’âme, Teilhard de Chardin pensait que la conscience était répartie dans tous les atomes du corps, idées qui n’ont aucun fondement expérimental.) Où est l’âme avant que le corps ne vienne au monde? Où va-t-elle après la destruction du corps? Est-ce que Dieu a une réserve d’âmes à sa disposition, dans laquelle il puise pour les greffer sur des ensembles d’atomes? Ces questions n’ont pas de sens, car l’esprit et le corps ne sont pas deux substances matérielles distincts, l’une contenant l’autre. On ne peut en parler en les situant sur le même plan.

Avec une description à deux niveaux de l’âme et du corps, rien n’empêche l’apparition naturelle et spontanée de la conscience, si l’évolution dépasse un certain seuil d’organisation et de complexité. L’étincelle divine n’est plus requise. Cette conclusion a des implications assez peu agréables pour notre amour-propre : le cerveau ne serait plus qu’une machine pensante, qu’une somme de composants constituant une sorte de société, et ce sont les relations à l’intérieur de cette société qui constitueraient ce qu’on appelle l’esprit (1). Cela veut aussi dire que les machines, si elles deviennent assez complexes, pourront penser et sentir. Les machines auront du cœur. Bien sûr, bien que les capacités mentales des machines intelligentes actuelles nous dépassent dans beaucoup de domaines (elles calculent beaucoup plus vite et sans erreur, et peuvent nous battre aux échecs), leurs capacités sensorielles sont encore très limitées : elles ne voient pas très bien, reconnaissent difficilement leurs interlocuteurs, ne comprennent que jusqu’à 10 000 mots (à condition qu’on leur parle très lentement et très distinctement) et parlent d’une voix bien pâteuse. Mais ces machines intelligentes n’existent que depuis quinze ans (et elles ont déjà atteint une complexité comparable à celle des insectes) alors que l’homme est le produit de millions d’années d’évolution! Cette vision de machines pensantes dans le futur n’est pas très réjouissante, mais elle n’est pas exclue par la science et l’intelligence artificielle actuelle.

(1) M. Minsky, La société de l’esprit, Interédition, 1988.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 305 à 307

 

Dieu et les extra-terrestres

Si nous acceptons l’hypothèse que la vie et la conscience ont émergé naturellement sur Terre, sans aucune aide divine, il nous faut envisager la possibilité de l’existence d’autres formes d’intelligence dans l’univers. Après tout, l’univers observable contient 100 milliards de galaxies rassemblant chacune 100 milliards d’étoiles. Si chaque étoile possède, comme notre Soleil, un cortège d’une dizaine de planètes, on peut évaluer à 100 000 milliards de milliards (1023) la population totale de planètes dans l’univers. Pourquoi notre planète serait-elle la seule à héberger la vie? (Elle semble pourtant bien être la seule parmi les neuf planètes du système solaire. L’exploration de Mars qui, après la Terre, est la planète la plus propice à la vie telle que nous la connaissons, par les sondes américaines Viking, n’ont révélé ni Martiens ni organismes vivants.) Pourquoi les échelons de la complexité ne seraient-ils gravis que sur Terre? Cela paraît bien improbable et le fantôme de Copernic est tout indigné qu’on puisse seulement envisager cette hypothèse. Il y a un vaste débat à ce sujet. Certains pensent que nous sommes seuls dans l’univers parce que nous n’avons jamais reçu de messages provenant du cosmos. On peut répliquer que nous ne disposons peut-être pas encore de la technologie ou des connaissances nécessaires pour capter et déchiffrer ces messages intersidéraux, ou que les extra-terrestres n’ont aucune envie de communiquer avec nous, qu’ils nous observent de loin comme des spectateurs observeraient des bêtes en cage dans un zoo. L’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence.

L’existence de civilisations extra-terrestres soulèveraient en tout cas des questions théologiques fort intéressantes, concernant notamment la religion chrétienne. Selon celle-ci, nous aurions hérité le « péché originel » de nos ancêtres Adam et Ève. Une race extra-terrestre qui se serait développée indépendamment sur une autre planète n’aurait pas eu cet héritage : serait-elle dépourvue de péché? D’autre part, Dieu a envoyé son Fils Jésus-Christ sur Terre pour sauver la race humaine. Y aurait-il multitude de Jésus-Christ extra-terrestres visitant chaque planète fertile pour sauver les vivants qui s’y sont développés? Des questions qui paraissent absurdes au premier abord, mais auxquelles les théologiens devraient faire face si, demain, nous entrions en contact avec une telle civilisation.

Giordano Bruno avait déjà soulevé ces questions en l’an 1600 en avançant l’idée d’un univers infini contenant une infinité de mondes habités par une infinité de formes de vie, célébrant toutes la gloire de Dieu. Mais, l’Église, au lieu d’essayer de résoudre le problème, a préféré faire taire Giordano Bruno en le condamnant à mourir sur le bûcher.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 307 et 308

 

Le pari du scientifique

Si elles n’ont pu détrôner la théorie du big bang, cela ne signifie pas que les théories rivales – les autres mélodies – ne sont d’aucune utilité, qu’elles n’ont pas un rôle à jouer dans l’entreprise scientifique. En science, comme dans tous les autres domaines, il faut toujours se méfier des modes. Une théorie qui rallie la majorité des voix n’est pas nécessairement la bonne. La plupart de ceux qui l’ont adoptée l’ont fait, non pas au terme d’un examen critique, mais peut-être par conformisme et par inertie intellectuelle, simplement parce que cette théorie était vigoureusement défendue par quelques chefs de file particulièrement éloquents. Les théories hérétiques, non orthodoxes, jouent donc un rôle particulièrement important : elles empêchent les défenseurs de la théorie orthodoxe de s’endormir sur leurs lauriers, elles les obligent à être constamment sur le qui-vive, à l’affût d’une faille, d’un défaut possible dans la structure érigée. Si la faille est trop grande et ne peut être colmatée, l’édifice s’écroule et un nouveau bâtiment prend sa place. C’est ainsi que procèdent les révolutions scientifiques. La mécanique quantique est apparue parce que la mécanique classique se montrait incapable d’expliquer les propriétés des atomes. Mais il faut faire bien attention à ne pas verser dans l’autre excès et à ne pas tout détruire à la moindre difficulté. Reconstruire sur des ruines est très ardu. Il ne faut pas se hâter de postuler des décalages vers le rouge non cosmologiques pour la simple raison que l’explication de l’énergie des quasars par des trous noirs massifs n’est pas de son goût, ou de changer la loi de la gravité parce que la nature de la masse invisible reste un mystère. Ces difficultés ne sont-elles pas des failles dans notre imagination plutôt que des défauts dans la structure du big bang?

Face à toutes ces théories rivales, confronté à une multitude de mélodies alternatives, le cosmologiste pèse le pour et le contre et fait son choix. J’ai parié – le lecteur l’aura deviné -, comme la majorité de mes collègues, sur la théorie du big bang. Outre sa simplicité et son élégance, elle possède cette qualité nécessaire à toute bonne théorie : elle a un grand pouvoir de prédiction. Ses prédictions les plus importantes (le rayonnement fossile et l’abondance de l’hydrogène et de l’hélium) ont été confirmées de façon spectaculaire par les observations. Grâce à l’apport des idées issues de la physique des particules élémentaires, grâce à l’union de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, elle s’est encore enrichie et permet peut-être même de répondre aux questions les plus profondes, les plus fondamentales qu’on puisse poser : quelle est la genèse de l’univers? Quelle est l’origine de la matière?

Le cosmologiste hérétique suédois Hannes Alfvén (celui de l’univers matière-antimatière) a lancé l’accusation que « le big bang est un mythe, peut-être un merveilleux mythe qui mérite une place d’honneur dans un zoo qui contiendrait déjà le mythe hindou de l’univers cyclique, l’œuf cosmique chinois, le mythe biblique de la Création en six jours, le mythe cosmologique de Ptolémée et bien d’autres (1) ». Je crois que Alfvén a tort. A la lumière de ce qui a été dit, il ne fait plus aucun doute que la théorie du big bang est maintenant davantage qu’un mythe. Elle a acquis les titres de noblesse d’une science. C’est une théorie dotée d’une santé rigoureuse, qui a résisté jusqu’ici è bien des attaques, et qui donne jusqu’à nouvel ordre la meilleure description de l’univers. Si, un jour, le big bang devrait être supplanté par une théorie cosmologique plus sophistiquée, celle-ci devrait incorporer tous les acquis du big bang, de la même façon que la physique einsteinienne a dû incorporer tous les acquis de la physique newtonienne.

L’univers du big bang est le dernier en date d’une longue succession d’univers commençant avec l’univers magique, et passant par les univers mythique, mathématique et géocentrique. Il ne sera certainement pas l’ultime univers : il serait bien étonnant que nous ayons le dernier mot, que nous voyons les élus qui perceront le secret de la mélodie. Il y aura encore, dans le futur, une longue série d’univers qui se rapprocheront toujours plus du vrai Univers (avec un U majuscule, pour le distinguer des univers crées par l’homme). Mais  atteindrons-nous jamais le but final, parviendrons-nous jamais à la Vérité ultime, où l’Univers nous sera révélé dans toute sa splendeur, où la mélodie nous livrera tous ses secrets? Pour répondre à cette question, il nous faut examiner en détail les étapes qui jalonnent la voie de la connaissance, depuis l’instant où nous captons les signaux de la nature, ses notes de musique, jusqu’au moment où le savoir et l’illumination jaillissent.

(1) La recherche, numéro 69, 1976, p.610

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 323 à 326

 

La réalité triée et transformée

En principe, ces difficultés techniques sont surmontables. Il suffit de faire bien attention à chaque étape, de construire soigneusement les instruments de mesure, de programmer avec soin les ordinateurs, en somme de ne pas laisser l’erreur humaine s’infiltrer. S’il ne fallait compter qu’avec des machines, la réalité pourrait être, en théorie, rendue aussi objective que possible. Mais ce qui est incontournable, c’est l’homme et son cerveau. L’homme ne peut observer la nature de manière objective. Il y a une interaction constante entre son monde intérieur et le monde extérieur. L’évolution du monde intérieur influence la perception du monde extérieur et, inversement, le contact avec le monde extérieur transforme le monde intérieur. Le monde intérieur du scientifique est truffé de concepts, de modèles et de théorie acquis tout au long de sa formation professionnelle. Ce monde intérieur, quand il est projeté au-dehors, ne permet plus à l’homme de science de voir des faits « nus » et objectifs, dénués de toute interprétation. Même le plus objectif des chercheurs aura des « préjugés ». En fait, ces préjugés (auxquels l’historien des sciences américain Thomas Kuhn donna le nom collectif de « paradigme »), sont le moteur même de la démarche scientifique. Sans opinion préconçue, dépourvu de tout paradigme, comment le scientifique pourra-t-il choisir, parmi les multitudes d’informations que la nature lui envoie, parmi l’avalanche des faits qui l’assaillent, ceux qui sont les plus significatifs, les plus susceptibles de révéler les lois et les principes, les plus porteurs d’information? Le tri de la réalité constitue une partie essentielle de la démarche scientifique et les plus grands hommes de science sont ceux qui savent aller à l’essentiel en négligeant l’insignifiant.

La réalité est donc inévitablement transformée par le monde intérieur, et nous ne voyons que ce que nous voulons bien voir. Qui n’a pas éprouvé une ineffable légèreté de l’être quand l’amour nous touche, quand tout ce qui était encore hier laid et sans âme se pare soudain d’une beauté indescriptible? A la vue d’une madeleine, Proust voit défiler tout le temps perdu de son enfance. Une rue banale, un air de musique quelconque vous touchent soudain au plus profond de l’être parce que des événements importants de votre vie y sont associés. Le scientifique n’échappe pas à cette règle. Le naturaliste anglais Charles Darwin, père de la théorie de l’évolution, raconte une histoire charmante : il passa toute une journée au bord d’une rivière et n’y vit que cailloux et eau. Onze ans plus tard, il revient sur les lieux pour chercher la trace d’un glacier. L’évidence sautait maintenant aux yeux. Un volcan éteint n’aurait pu laisser de traces plus visibles de son activité passée que cet ancien glacier. Darwin découvrit ce qu’il cherchait dès qu’il sut regarder. La « réalité » dépend donc intimement du bagage conceptuel du scientifique. Elle est triée et transformée par ses « préjugés ». En astrophysique, l’exemple le plus frappant de cette étroite dépendance de la « réalité » et de l’arsenal conceptuel est, à mon avis, le problème de la masse invisible. Cette masse n’émet aucune sorte de lumière et est donc complètement inaccessible à l’observation directe, même si l’astronomie maîtrise toutes les subtilités du rayonnement électromagnétique. Cette masse invisible ne peut être plus éloignée de la réalité tangible. Et pourtant, la majorité des astrophysiciens croient que de 90% à 98% de la masse de l’univers sont constitués de cette matière invisible parce que, si l’on s’en tient è la loi de la gravitations, universelle de Newton, les mouvements des étoiles et du gaz dans les galaxies, et ceux des galaxies dans les amas, seraient tout autres si cette masse n’existait pas. De même, l’édifice du big bang repose sur la relativité générale. Sans ce support théorique, il s’écroulerait. L’homme crée l’univers en projetant son monde intérieur sur le monde extérieur.

Cette interaction entre l’intérieur et l’extérieur explique aussi pourquoi la science est née en Europe plutôt qu’ailleurs. Le scientifique ne travaille pas dans l’isolement. Le milieu culturel environnant modifie son monde intérieur et l’orientation de ses recherches. Selon le chimiste belge Ilya Prigogine, « la science n’apparaît qu’en fonction de l’idée que les hommes se font de l’univers. Si un peuple est persuadé qu’un créateur suprême est à l’origine du monde et détermine son futur, c’est qu’il existe des lois et un avenir discernable. Il appartient alors aux hommes de décoder ces lois divines (1) ». Newton, imprégné de religion chrétienne, incarna bien cette science occidentale, cette urgence à rechercher dans les lois de la nature le reflet de Dieu. La science ne naquit pas en Chine, où furent pourtant inventées la poudre et la boussole, parce que la notion d’un Dieu créateur régissant l’univers avec ses lois y était absente. (Selon Confucius, le monde naquit de deux forces opposées, le Yin et le Yang.)

(1) Interview de G. Sorman dans Le Figaro Magazine du 5 mars 1988

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 332 à 334

 

La fermentation intérieure

Mais si le scientifique ne voit que ce qu’il cherche, s’il place tout fait nouveau dans un cadre conceptuel qui existe déjà, comment progresser, comment acquérir de nouvelles connaissances? Le chercheur est conservateur par nature et la nouveauté émerge difficilement. Toute tentative susceptible de semer le trouble et d’ébranler l’édifice rencontre toujours une forte résistance. Et, souvent, des faits qui se révèleront plus tard « anormaux » (c’est-à-dire n’entrant pas dans le cadre conceptuel habituel) doivent tout d’abord se plier aux idées en vogue, quand ils ne sont pas simplement ignorés. L’exemple le plus extrême de ce conformisme est celui de Ptolémée, accumulant les épicycles pour expliquer le mouvement des planètes autour d’une Terre fixée au centre du monde. Ce conservatisme n’est pas aussi néfaste qu’il peut paraître au premier abord : il constitue une soupape de sécurité contre de constantes remises en question, de perpétuelles révolutions. Assurant la bonne marche de la science en temps ordinaire, il la protège contre un état de chaos permanent qui la paralyserait.

Pourtant, il faut bien que la science progresse. Les révolutions éclatent quand les faits nouveaux s’accumulent, qui ne cadrent plus dans l’ancien schéma, mais surtout quand des hommes de génie, qui entrevoient des connexions nouvelles entre des faits que tout a priori devait séparer, font leur apparition. L’univers tout entier est interconnecté, chaque partie reflète la totalité, comme nous le verrons plus tard. La démarche de la science consiste à trier et à fragmenter la réalité. A un certain stade, elle ne peut décoder qu’une petite partie du tout. Et chaque fois qu’une interconnexion nouvelle surgit, la science fait un fantastique bond en avant. Newton découvrir la gravitation universelle en établissement une relation entre le mouvement de chute d’une pomme et celui de la Lune autour de la Terre. La relativité générale s’imposa à Einstein dès qu’il entrevit l’interconnexion entre le temps et l’espace.

Ces interconnexions sont des actes de création et d’imagination au même titre que ceux de Picasso peignant ses Demoiselles d’Avignon, de Beethoven composant ses symphonies ou de Proust recapturant son enfance dans sa Recherche du temps perdu. Les grandes découvertes scientifiques ne surgissent pas par hasard. Elles sont le produit d’une intense fermentation intérieure qui se nourrit d’éléments extérieurs apparemment disparates, les régurgite et les restitue, transformés et transfigurés, unifiés et connectés.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 334 à 335

 

L’invisibilité de l’univers

Le pendule de Foucault nous a monté que l’univers est interconnecté à l’échelle macroscopique. Nous allons voir maintenant que le monde microscopique est tout aussi indivisible. Cette évidence repose sur une expérience fameuse proposée en 1930 par Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen pour tenter de prendre en défaut l’interprétation probabilistique de la réalité par la mécanique quantique. Imaginons, disent-ils, une particule qui se désintègre spontanément en deux grains de lumière A et B. Rien ne permet de dire a priori les directions que ces derniers vont prendre. Une seule certitude : par symétrie, ils doivent partir dans des directions opposées. Si A se dirige vers l’ouest, B doit s’en aller vers l’est. Installons donc nos instruments de mesure et vérifions : A est bien à l’ouest et B à l’est. Tout se passe apparemment comme prévu.

Mais c’est compter sans l’indéterminisme du monde microscopique. La mécanique quantique nous dit que A ne pouvait avoir de direction précise avant d’être capté par l’instrument de mesure. Il arborait alors sa physionomie d’onde et était susceptible de prendre n’importe quelle direction. C’est seulement après avoir interagi avec le détecteur que A se transforme en particule et « apprend » qu’il se dirige vers l’ouest. Si A ne « savait » quelle direction prendre avant d’être capturé par l’instrument de mesure, comment B pourrait-il « deviner » à l’avance la direction de A et orienter sa trajectoire de façon à être capté au même instant dans la direction opposée? Cela n’avait aucun sens. Einstein et ses collègues conclurent donc que la mécanique quantique faisait fausse route, que la réalité ne pouvait être décrite en terme de probabilité et que Dieu ne jouait pas aux dés : A « savait » avant son départ la direction qu’il allait prendre et l’avait communiquée à B avant leur séparation afin que celui-ci emprunte la direction opposée. A et B ont une réalité objective bien déterminée, indépendante de l’acte d’observation. Mais Einstein se trompait. Les expériences en laboratoire ont toujours donné raison à la mécanique quantique et celle-ci rend bien compte du comportement des atomes : A ne « savait » vraiment pas dans quelle direction partir, Dieu joue aux dés et les particules n’ont pas de réalité objective indépendante de l’acte d’observation. Alors, comment résoudre le paradoxe EPR (d’après les initiales des trois auteurs)?

Ce paradoxe n’en est vraiment un que si l’on suppose que la réalité est « localisée » sur chacun des deux grains de lumière, que ces derniers sont distincts et séparés et qu’ils ne peuvent s’influencer l’un l’autre. Il est balayé si nous acceptons l’idée que les deux grains de lumière, même séparés par des milliards d’années-lumières, font partie, avant d’être enregistrés par les instruments de mesure, d’une même totalité, qu’ils sont en contact permanent par une sorte d’interaction mystérieuse. Ainsi, B « sait » instantanément tout ce que fait A : ils n’ont plus besoin de s’envoyer des messages. La réalité n’est plus locale, mais globale. Il n’y a plus d’ « ici » ou de « là ». Tout est connecté et « ici » est identique à « là ».

Le pendule de Foucault et l’expérience EPR nous ont contraints à dépasser nos notions habituelles d’espace et de temps. Nous sommes amenés à conclure que l’univers possède bien un ordre global et invisible, tant à l’échelle macroscopique que microscopique. Une influence omniprésente et mystérieuse fait que chaque partie contient le tout et que le tout reflète chaque partie. Tous les êtres vivants dans l’univers, toute la matière, le livre que vous tenez entre vos mains, les meubles qui vous entourent, les vêtements que vous portez, tous les objets que nous identifions comme fragments de réalité contiennent la totalité enfouie en eux. Nous tenons chacun l’infini au creux de notre main.

La science occidentale, réductionniste par nécessité (il faut isoler des parcelles de réalité pour les étudier en détail et progresser), converge ainsi de plus en plus vers une vue globale (on dit « holistique ») de l’univers. Les tentatives actuelles pour unifier les lois de la physique n’en sont qu’une manifestation. La science nous a appris que nous partageons avec toute la matière de l’univers une histoire commune, que nous sommes les enfants des étoiles, les frères des bêtes sauvages et les cousins des jolis coquelicots champêtres. Elle nous dit aussi que nous portons tout l’univers en nous, que nous sommes indivisibles de lui. Ce sentiment d’appartenance cosmique nous empêchera-t-il de succomber au suicide nucléaire? Le scientifique n’a pas, en tout cas, le choix. Pour paraphraser le fameux mot d’André Malraux : « La science du XXIème siècle sera spirituelle, ou ne sera pas. »

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 337 à 339

 

Le secret de la mélodie

Reprenons notre question du début : l’Univers nous sera-t-il un jour révélé dans la totalité de sa glorieuse réalité? Parviendrons-nous à percer le secret de la vraie mélodie? A la lumière de ce qui a été dit, cela semble bien difficile, voire impossible. L’acte même d’observer modifie la réalité, nous enseigne la mécanique quantique. Cette « réalité » est ensuite modifiée et interprétée par notre œil, nos instruments de mesure et nos « préjugés ». Fait encore plus grave, ne pouvant échapper à notre finitude, nous ne pourrons jamais étudier qu’une infime partie de ce vaste univers qui est entièrement interconnecté. Au prix d’effort prodigieux d’imagination et de créativité, des hommes de génie découvriront de plus en plus de connexions et la science progressera. Mais jamais toutes les connexions ne seront révélées. (A ce propos, il est utile de mentionner les travaux du mathématicien autrichien Kurt Gödel, qui démontra en 1931 qu’il existera toujours en mathématiques des propositions indémontrables. De même qu’il est impossible de tout démontrer en mathématiques, l’esprit humain ne pourra jamais appréhender la totalité de l’Univers.)

L’Univers nous sera à jamais inaccessible. La mélodie restera à jamais secrète. Mais est-ce une raison pour se décourager, pour abandonner la quête? Je ne le crois pas. L’homme ne pourra jamais échapper à ce besoin urgent d’organiser le monde extérieur en un schéma cohérent et unifié. Après l’univers du big bang, il continuera à en créer d’autres, qui se rapprocheront toujours plus de l’Univers sans jamais l’atteindre, et qui illumineront et magnifieront son existence.

Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, pages 339 à 340

 

 

 

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Titre : Un astrophysicien

Auteur : Trinh Xuan Thuan

Genre : Science

Date : 1995

Pages : 141

Éditeur : Flammarion

Collection : Champs-Flammarion

ISBN : 978-2080813176

 

Dans ce livre d'entretiens, Trinh Xuan Thuan raconte sa formation intellectuelle et scientifique et revient sur des questions fondamentales que la connaissance de l'Univers rencontre. Il insiste également sur les rapports entre la science et la religion, qu'il juge non exclusives l'une de l'autre. Il se garde pourtant de les mélanger, tout en croyant en un grand architecte du monde et en confessant sa foi bouddhiste.

Cet ouvrage a paru en 1992, mais Trinh Xuan Thuan a tenu à le mettre à jour pour tenir compte des derniers développements de la science (le télescope spatial Hubble, le satellite COBE, etc...).

 

« Je crois de tout mon cœur que l’astronomie répond à un besoin profondément humain de connaître nos origines. Ce n’est pas par hasard que les étoiles et les galaxies passionnent le public : on y cherche des racines […]. Elle nous aide à apprécier notre place dans l’espace et le temps, à voir comment nous nous situons dans la longue histoire de l’évolution cosmique, à appréhender nos liens avec l’univers. Elle nous permet de transcender la pesanteur de notre corps et la brièveté de notre vie.

Trinh Xuan Thuan, Un astrophysicien, page 66

 

 

  

L'infini dans la paume de la main

Titre : L’infini dans la paume de la main

Auteur : Trinh Xuan Thuan et Matthieu Ricard

Genre : Science / Religion

Date : 2002

Pages : 400

Éditeur : Nil édition / Fayard

Collection : Pocket

ISBN : 2-266-10861-1

 

Le dialogue d'un scientifique français devenu bouddhiste et d'un bouddhiste vietnamien devenu scientifique... La science et la spiritualité éclairent chacune à leur façon la vie des hommes : pourquoi, à défaut de se rejoindre, ne seraient-elles pas complémentaires ? Las, nous dit-on, la connaissance scientifique et la connaissance spirituelle sont trop étrangères l'une à l'autre pour que leur confrontation puisse être autre chose qu'un dialogue de sourds... C'est précisément à faire mentir cet antagonisme que s'attachent ici Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan. Le champ des interrogations est vaste. Quelle est la nature du monde ? De l'Univers ? De la matière? Du temps ? De la conscience ? Comment mener notre existence ? Comment vivre en société ? Comment marier science et éthique ? Quant aux réponses, le lecteur jugera si elles sont conformes aux idées qu'il se faisait par avance. Car au fil de ce dialogue passionné, animé par un sincère désir de compréhension réciproque, se produit l'inattendu : les oppositions s'estompent, les convergences se font jour, et l'on se prend à rêver d'un avenir où foi et raison seraient, enfin, durablement réconciliées.

 

 

Les voies de la lumière

 

Titre : Les voies de la lumière: Physique et métaphysique du clair-obscur

 Auteur : Trinh Xuan Thuan

 Genre : Science

 Date : 2007

 Pages : 921

 Éditeur : Gaillimard

 Collection : Folio essais

 ISBN : 978-2-07-035379-8

 

La lumière fascine les hommes, qu'ils soient scientifiques, philosophes, artistes ou théologiens, depuis les temps les plus reculés. Elle n'est, en effet, pas seulement essentielle à l'astronome ; elle lie chacun d'entre nous au cosmos. Venue du Soleil, elle est source de vie. Qu'elle soit naturelle ou artificielle, elle nous permet de contempler le monde, mais aussi de le penser, d'interagir avec lui et d'y évoluer. Trinh Xuan Thuan entreprend donc de retracer l'épopée des efforts que l'homme a déployés pour pénétrer au cœur de la lumière et en percer les secrets, en comprendre les dimensions scientifiques et technologiques, comme esthétiques et spirituelles. Le lecteur est, ce faisant, introduit à la physique de la lumière, mais aussi à sa métaphysique - à ce qui nous permet d'être humain.

 

Extraits :

Cet ouvrage s’adresse à l’« honnête homme » non nécessairement doté d’un bagage technique, mais curieux de la physique et de la métaphysique de la lumière. Dans la rédaction de ces pages, je me suis dans la mesure du possible efforcé d’éviter tout jargon, sans pour autant perdre en précision et en rigueur. J’ai particulièrement veillé à ce que la forme soit la plus simple, la plus claire et la plus agréable possible, afin de faire passer des concepts parfois arides, étrangers et difficiles. J’ai aussi ajouté des figures et un cahier d’illustrations en couleur non seulement pour concrétiser mon propos, mais également pour en égayer la lecture.

Trinh Xuan Thuan, Les voies de la lumièrepage 23

 

En résumé, les Grecs ont ainsi été à l’origine de trois théories fort différentes de la vision : celle des « rayons visuels »issus des yeux, d’Empédocle ; celle des « simulacres », de Leucippe et Démocrite, formes voyageuses composées d’atomes qui se détachent de la surface des objets ; et celle du « diaphane », d’Aristote, où la présence d’une source lumineuse actualise la transparence de l’air ambiant qui transmet à l’œil les impressions de couleurs et de formes des objets. Ces idées ont exercé une influence considérable sur tous les penseurs qui se sont penchés sur le problème de la lumière et de la vision pendant les vingt siècles qui ont suivi.

Trinh Xuan Thuan, Les voies de la lumièrepages 42-43

 

Ajouter de la lumière à la lumière peut produire de l’obscurité

Mais la notion de lumière en tant qu’onde a la vie dure. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, elle ne cesse de resurgir. Le nouveau personnage à entrer en scène dans la saga de la lumière, le physicien anglais Thomas Young (1773-1829), va encore apporter plus d’eau au moulin de cette théorie ondulatoire de la lumière. Génie multidisciplinaire, Young est doué en tout : en sciences comme en littérature, en musique aussi bien qu’en peinture. Extrêmement précoce, il sait lire dès l’âge de deux ans et, à quatorze, maîtrise dix langues dont le latin, le grec, l’hébreu, le persan et l’arabe. Il étudie la médecine à Londres, puis à Edimbourg et Göttingen. Touche-à-tout inspiré, il contribue de manière importante au décryptage des hiéroglyphes sur la pierre de Rosette, indépendamment de l’égyptologue français Jean-François Champollion (1790-1832). Il publie des articles sur un nombre impressionnant de sujets : la métallurgie, l’hydrodynamique du sang, la peinture, la musique, les langues, les mathématiques, etc. Il s’intéresse au mécanisme de la vision et découvre en 1794 que c’est le cristallin de l’œil qui, en modifiant sa courbure, est responsable de la netteté des images d’objets proches sur la rétine, phénomène appelé « accommodation ». Pour cette découverte, il est élu membre de la prestigieuse Royal Society à vingt et un ans, alors qu’il est encore étudiant! Il découvre aussi le phénomène d’astigmatisme, anomalie de la vision due à des inégalités de courbure de la cornée ou à des irrégularités dans les milieux transparents de l’œil. Ces travaux sur le mécanisme physiologique de l’œil sont les plus importants depuis Kepler.

Mais la postérité retiendra le nom de Young surtout à cause d’une expérience fondamentale sur la lumière qu’il présente à la Royal Society en 1801, celle dite des « franges d’interférence ». Dans l’ordre d’importance, dans l’histoire de l’optique, elle vient très probablement juste après celle de Newton sur la décomposition de la lumière blanche en ses diverses composantes par un prisme.

Young est le premier Anglais à oser s’attaquer au monument Newton, le premier à avoir le culot de défier l’immense prestige posthume de son illustre compatriote. Il se penche en particulier sur ce qu’il estime être le talon d’Achille de la théorie corpusculaire de la lumière : le phénomène de diffraction découvert par le Père Grimaldi. Il a bien constaté que si l’on perce une petite fente dans la paroi d’une chambre obscure, le faisceau lumineux qui y entre, une fois passé la fente, se diffracte, c’est-à-dire s’élargit et éclaire d’un halo d’intensité plus faible une zone plus étendue que ne le laisseraient supposer des corpuscules de lumière se déplaçant exclusivement en ligne droite. Admettons maintenant que nous percions non plus une seule fente, mais deux, très rapprochées l’une de l’autre. Chacune va être à l’origine d’une zone de lumière étendue. Young place un écran derrière les deux fentes pour examiner la région où les deux halos de lumière se superposent. Ce qu’il découvre le remplit de stupeur!

On pourrait penser naïvement qu’en ajoutant de la lumière à la lumière, la zone éclairée qui en résulterait serait plus brillante et lumineuse. Or il n’en est rien. Young constate un phénomène des plus inattendus : la zone où les deux faisceaux de lumière se superposent contient certes des bandes plus brillantes, mais celles-ci alternent avec des bandes sombres dépourvues de toute luminosité! En d’autres termes, en certains endroits, ajouter de la lumière à la lumière donne de l’obscurité! Imaginez que vous allez acheter une seconde lampe pour mieux éclairer votre chambre et, quand vous l’allumez, vous observez, à votre grande déception des bandes noires à certains endroits du mur. Vous serez en droit d’être en colère et d’exiger du magasin un remboursement immédiat…

Trinh Xuan Thuan, Les voies de la lumièrepages 113 à 115

 

 

Après son mémoire à l’Académie des sciences, Fresnel continue à développer et à affiner ses calculs. En fin de compte, ses démonstrations se révèlent si convaincantes qu’il parvient à faire reculer la théorie corpusculaire de Newton et de ses successeurs, et à imposer la théorie ondulatoire de la lumière. Dès qu’il prend connaissance des travaux de Young, Fresnel n’hésite pas à lui écrire pour reconnaître leur antériorité : « J’ai avoué s’assez bonne grâce devant le public, en plusieurs occasions, l’antériorité de vos recherches. » Quant à Young, il reconnaît bien volontiers que le Français a fait ses découvertes de manière autonome et tout à fait original : « J’ai eu pour la première fois le plaisir d’entendre un travail optique lu par Monsieur Fresnel, qui semble avoir redécouvert par ses propres efforts les lois d’interférence. » Un échange de bons procédés entre deux grands scientifiques, qui est tout à leur honneur. Ce comportement exemplaire devrait tout le temps prévaloir dans le monde académique, bien que ce ne soit malheureusement pas toujours le cas!

Trinh Xuan Thuan, Les voies de la lumière, page 126

 

 

Une année miraculeuse

L’année 1905 fut une année miraculeuse pour la physique, tout autant que l’avait été l’année 1666, quand le jeune Newton, pour échapper à l’épidémie de peste qui sévissait, se réfugia à la campagne dans la maison de sa mère et découvrit la gravitation universelle, inventa le calcul infinitésimal et fit des découvertes fondamentales sur la nature de la lumière. Travaillant à l’écart du monde académique, Einstein, par son seul génie, modifia la face de l’univers par quatre articles fondamentaux publiés de mars à juin dans le journal scientifique allemand Annalen der Physik, articles dont chacun aurait suffi à le propulser dans le panthéon de la physique et au faîte de la gloire.

Outre l’article portant sur la relativité restreinte, un deuxième concerne le mouvement de zigzags irréguliers et désordonnés de particules microscopiques de pollen en suspension dans l’eau – ce que l’on appelle le « mouvement brownien », du nom du botaniste écossais Robert Brown (1773-1858) qui l’a découvert. Dans cet article, Einstein établit de façon définitive la réalité des atomes en calculant leur taille et en démontrant comment leurs heurts et collisions sont responsables de l’effet brownien.

Le troisième article, qu’il qualifie lui-même de « visionnaire » dans une lettre à un ami, traite de ce qu’on appelle l’ « effet photoélectrique » : comment la lumière ultraviolette arrache des électrons à la surface d’une pièce de métal. Einstein suggère que ces expériences ne peuvent être comprises que si la lumière a une nature corpusculaire (sous la forme de particules qu’on appelle aujourd’hui « photons »), et non pas ondulatoire. Nous y reviendrons plus tard. C’est cet article sur la lumière qui lui vaut le prix Nobel de physique en 1921, et non pas celui sur la relativité restreinte, comme on le croit souvent à tort.

Dans le quatrième article, Einstein unifie énergie et matière. Il démontre que ces deux concepts ne sont que deux facettes différentes d’une seule et même réalité. Ils sont reliés ensemble par la formule qui est peut-être la plus célèbre de l’histoire de la physique : l’énergie d’un objet est égale au produit de sa masse par le carré de la vitesse de la lumière (E=mc2). C’est cette formule qui permettra plus tard de percer le secret de l’énergie des étoiles, mais aussi de construire les bombes atomiques qui détruiront Hirochima et Nagasaki.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 146 et 147

 

 

Le mur de la connaissance

À l’aube du XXIème siècle, deux grandes théories constituent les piliers de la physique contemporaine. La première est la mécanique quantique ; elle décrit le monde des atomes et de la lumière, où les deux forces nucléaires fortes et faibles et la force électromagnétique mènent le bal et où la gravité est négligeable. La deuxième est la relativité ; elle rend compte des propriétés de l’Univers à grande échelle, celle des galaxies, des étoiles et des planètes, où la gravité occupe le devant de la scène et où les forces nucléaires et électromagnétique ne jouent plus le premier rôle. Ces deux grandes théories, vérifiées à maintes reprises par de nombreuses mesures et observations, fonctionnent extrêmement bien tant qu’elles demeurent séparées et cantonnées à leurs domaines respectifs. Mais la physique s’essouffle et perd ses moyens quand la gravité, d’ordinaire négligeable à l’échelle subatomique, devient aussi importante que les trois autres forces. Or c’est exactement ce qui est arrivé aux premiers instants de l’univers, quand l’infiniment petit a accouché de l’infiniment grand. Pour comprendre l’origine de l’univers et donc notre propre origine, il nous faut une théorie physique qui unifie la mécanique quantique et la relativité, une théorie de « gravité quantique » qui soir capable de décrire une situation où les quatre forces fondamentales sont sur un pied d’égalité.

Cette unification n’est pas des plus aisées, car il existe une incompatibilité fondamentale entre la mécanique quantique et la relativité générale pour ce qui concerne la nature de l’espace. Selon la relativité, l’espace à grande échelle où se déploient les galaxies et les étoiles est calme et lisse, dépourvu de toute fluctuation et rugosité. En revanche, l’espace à l’échelle subatomique de la mécanique quantique est tout sauf lisse. À cause du flou de l’énergie, il devient une sorte de mousse quantique aux formes constamment changeantes, remplies d’ondulations et d’irrégularités qui apparaissent et disparaissent çà et là au cours de cycles infiniment courts. La courbure et la topologie de cette mousse quantique sont chaotiques et ne peuvent plus être décrites qu’en terme de probabilités. Comme pour une toile pointilliste de Seurat qui se décompose en milliers de petits points multicolores quand on l’examine de près, l’espace se dissout en innombrables fluctuations et ne respecte plus les lois déterministes quand on le scrute à l’échelle subatomique. Cette incompatibilité fondamentale entre les deux théories à propos de la nature de l’espace fait que nous ne pouvons extrapoler les lois de la relativité jusqu’au « temps zéro » de l’univers, quand l’espace et le temps ont été créés. Un mur de la connaissance se dresse devant nous pour nous barrer le chemin. C’est ce qu’on appelle le « mur de Planck », d’après le nom du physicien allemand Max Planck qui, le premier, s’est penché sur ce problème. Les lois de la relativité perdent pied au temps infinitésimalement petit de 10-43 secondes après le big bang, le temps de Planck.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 260 et 261

 

 

La symphonie des cordes

Dans la théorie des supercordes, les particules ne sont plus des éléments fondamentaux, mais sinplement le produit de vibrations de boutsde cordes incommensurablement petits de 10-33 centimètre, la longueur de Planck. Les particules de matière et de lumière qui transmettent les forces (par exemple, le photon transmet la force électromagnétique), qui relient les éléments du monde et font que ce monde change et évolue, tout cela ne serait que les diverses manifestations des vibrations de ces ordres. Or, fait extraordinaire, le graviton, la particule qui transmet la force de gravité, désespérément absent des théories précédentes, apparaît comme par miracle parmi ces manifestations. L’unification de la force gravitationnelle avec les trois autres forces se révèle donc possible. Dans la théorie des supercordes, tout comme les vibrations des cordes d’un violon produisent des sons variés avec leurs harmoniques, les sons et harmoniques des cordes apparaissent dans la nature et pour nos instruments sous la forme de photons, de protons, d’électrons, de gravitons, etc. Ainsi, les cordes chantent et vibrent tout autour de nous, et le monde n’est qu’une vaste symphonie. Ces supercordes habiteraient un univers à neuf dimensions spatiales dans une version de la théorie, à vingt-cinq dimensions spatiales dans une autre version. Puisque nous ne percevons que trois dimensions spatiales, il faut supposer que les six ou vingt-deux dimensions supplémentaires de l’espace se sont enroulées sur elles-mêmes jusqu’à devenir si petites qu’elles ne sont plus perceptibles.

Mais la théorie des supercordes est loin d’être complète et le chemin à parcourir pour toucher au but est encore très long et extrêment ardu. La théorie est enveloppée d’un voile mathématique si épais et si abstrait qu’elle défie les talents des meilleurs physiciens et mathématiciens du moment. Enfin, elle n’a jamais été soumise à la vérification expérimentale, car les phénomènes qu’elle prévoit se déroulent à des énergies dépassant de loin cellesque peuvent atteindre les plus grands accélérateurs de particules actuels. Or, tant qu’une théorie scientifique n’est pas vérifiée par l’observation, nous ne pouvons pas savoir si elle est vraie et conforme à la nature, ou si elle n’est qu’un produit de l’imagination fertile des physiciens, sans rapport aucun avec la réalité. La symphonie des cordes reste inachevée.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 262 et 264

 

 

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque chose. De plus, à supposer que des choses doivent exister, il faut qu’on puisse rendre compte du pourquoi elles doivent exister ainsi, et non autrement. »

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, page 278

 

 

La théorie de l’inflation est-elle fausse?

Il est temps de faire le point. En scrutant les mouvements des étoiles et des galaxies, nous avons dû admettre la présence d’une grande quantité de matière noire exotique froide dont la masse est quelques 26/4 = 6,5 fois supérieure à celle de la matière baryonique ordinaire dont nous sommes constitués ; de surcoît, sa nature précise nous échappe encore presque totalement. Cette matière noire ne peut pas être ordinaire, car, si c’était le cas, les abondances primordiales de l’hélium et du deutérium observées dans les étoiles et les galaxies n’auraient pas été conformes aux prédictions de la théorie du big bang, et les minuscules semences de galaxies observées par COBE et WMAP n’auraient jamais eu le temps de prospérer en superbes galaxies dès le premier milliard d’années de l’univers.

Mais nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises. L’univers va encore frapper plus fort en nous révélant que l’espace est baigné d’une mystérieuse énergie noire qui accélère son mouvement d’expansion. Au lieu de décéler graduellement, comme cela aurait été le cas si la gravité attractive de son contenu en masse et énergie était seule en cause, il est au coutraire en train d’accélérer!

Comme c’est souvent le cas en science, plusieurs voies indépendantes vont nous conduire à cette étonnante révélation. La première repose sur une apparente contradiction entre la masse total – lumineuse et noire – observée dans l’univers et celle prévue par la théorie de l’inflation. Nous avons vu que la matière ordinaire constitue 4% de la densité critique de l’univers et la matière exotique 26%, soit un sous-total de 30% de cette densité. Dans un univers qui ne contient rien d’autre que de la matière et de la lumière, la densité totale de l’univers doit être supérieure à la densité critique en sorte que la gravité parvienne à freiner son exansion, à inverser son mouvement et à le faire s’effondrer sur lui-même. Un univers doté d’une densité de moins d’un tiers de la densité critique connaîtra donc une expansion éternelle. En d’autres termes, cet univers sera « ouvert », avec une courbure négative comme celle du pavillon évasé d’une trompette. Mais un tel univers pose problème, car il entre en contradiction directe avec la théorie de l’inflation selon laquelle l’univers s’est emballé dans une expansion exponentielle pendant les premières fractions de seconde de son existence. Durant cette phase inflationnaire, nous l’avons vu, la géométrie de l’espace s’aplatit comme une petite portion de la surface d’un ballon devient moins courbée quand on le gonfle. De même que la courbure d’une sphère diminue quand son rayon s’accroît, l’univers tend à devenir plat si l’on augmente sa taille de facon vertigineuse. Or, on l’a vu, la densité d’un univers plat doit être exactement égale à la densité critique, et non pas à 30% de la valeur de celle-ci!

L’astrophysicien se retrouve face à un dilemme cornélien. Soit il décide que la théorie de l’inflation est fausse, et les « nuages noirs » qui obscurcissaient le paysage du big bang et qui ont été dissipés par la théorie de l’inflation (comment expliquer le bang du big bang? Comment rendre compte de l’extrême homogénéité de l’univers et de l’absence de courbure du paysage cosmique? Comment créer les semences de galaxies?) reviennent obséder sa conscience. Soit il admet que l’inflation a bien eu lieu, que l’univers a bien une géométrie plate et est doté d’une densité critique – mais, dans ce cas, où diable sont passés les 70% manquants? À la fin du Xxème siècle, nombre d’astrophysiciens étaient bien près de baisser les bras et de déclarer fausse la théorie de l’inflation, au risque mëme de mettre en péril celle du big bang.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 383 à 385

 

 

Pouvons-nous croire au big bang?

Nous avons dressé l’inventaire de toutes les sources de lumière et d’énergie de l’univers et raconté leur histoire et leur évolution du passé le plus éloigné au futur le plus distant. Nous l’avons fait dans le contexte de la théorie du big bang. La véracité de notre récit dépend de la validité de cette théorie. Étant donné l’état de nos connaissances sur l’univers, pouvons-nous croire au big bang?

Je pense qui oui. Depuis son acceptation par la majorité des astrophysiciens après la découverte du rayonnement fossile en 1965, cette théorie a en effet vécu dangereusement pendant ces quatre dernières décennies. À tout moment des observations auraient pu venir la contredire, la faire basculer dans le gouffre et l’expédier au cimetière des théories mortes.

La véracité d’une théorie repose sur sa capacité à passer tous les tests observationnels, quels qu’ils soient. Or ce ne sont pas les observations qui manquent, car les astronomes se sont mis à tester avec acharnement la théorie di big bang dans ses moindres aspects et ses plus petits recoins. Ils ont étudié le rayonnement fossile en détail. Ils auraient pu constater que la distribution en énergie des photons de ce rayonnement fossile n’est pas conforme à celle d’un univers doté d’un passé chaud et dense. Ils auraient pu trouver que le rayonnement fossile est si uniforme qu’il est incompatible avec les fluctuations de densité nécessaires pour donner naissance aux galaxies. Ils auraient pu découvrir une étoile pourvue d’une quantité d’hélium tellement inférieure aux 25% prédits par la théorie du big bang que cela aurait porté un coup fatal à la théorie, les étoiles ne pouvant qu’accroitre la quantité d’hélium primordial (par fusion de l’hydrogène en hélium) et non la diminuer. Ils auraient pu détecter une telle abondance de deutérium que cela aurait impliqué une quantité minuscule de matière baryonique, incompatible avec les 4% de la densité critique qu’on a observés. Ils auraient pu mesurer une masse du neutrino si élevé que la masse totale des neutrinos, presque aussi nombreux que les photons dans l’univers primordial, aurait de loin dépassé celle mesurée pour l’univers entier (en réalité, la masse des neutrinos est si faible que ceux-ci ne peuvent pas même rendre compte de la matière noire exotique de l’univers). Ils auraient pu, grâce à la technique des supernovae, mettre au jour une énergie noire si importante que la densité totale de l’univers aurait de loin dépassé la densité critique, ce qui aurait contredit l’idée d’une période inflationnaire de l’univers.

Nous pourrions multiplier à l’envi les exemples de coups fatals pouvant être portés à la théorie du big bang. Or rien de tout cela n’est advenu. Les observations les plus récentes ont renforcé la théorie du big bang plutôt qu’elles ne l’ont infirmée. C’est cette fantastique adaptation aux contours sinueux de la nature qui nous donne confiance en elle. Si un jour une théorie plus sophistiquée venait à la supplanter, il lui faudrait incorporer tous ses acquis, tout comme la physique einsteinienne a dû incorporer tous ceux de la physique newtonienne.

Après avoir examiné toutes les sources de lumière de l’univers, nous allons nous concentrer sur celle qui nous importe le plus : le Soleil. Non seulement celui-ci est à l’origine de superbes spectacles lumineux sur Terre, mais il est aussi notre astre de vie.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 480 et 481

 

 

Les poumons de la Terre et la biodiversité en danger

Les vertes espèces que la nature a si patiemment développées et entretenues pendant des centaines de millions d’années sont aujourd’hui en danger, et cela, à cause de l’inconscience et de la cupidité des hommes. Pour faire face à une démographie galopante et pour nourrir toujours plus de bouches, l’homme ne cesse d’abattre arbres et forêts afin de conquérir davantage de terre cultivables. Mû par l’appât du gain, il n’arrête pas de convertir les arbres en papier et en meubles qui décorent ses habitations. Depuis 1950, plus de 30% des forêts de conifères et 45% des forêts tropicales ont été ainsi éliminées. Déjà 14% de la superficie de la plus grande forêt tropicale existant sur Terre, l’Amazonie, ont été effacés. Les forêts tropicales de la côte atlantique du Brésil, de Madagascar et des Philippines n’occupent déjà plus que le dixième de leur superficie initiale! Toutes les deux secondes, des morceaux de forêt tropicale équivalent à la surface d’un terrain de football sont rayés de la surface du globe.

Cette déforestation à outrance a pour grave conséquence de diminuer la capacité de notre planète à se préserver de l’accumulation de gaz carbonique. Celui-ci, en s’accumulant dans l’atmosphère et en exerçant son redoutable effet de serre, menace de réchauffer notre havre terrestre jusqu’à le rendre invivable. Nous avons vu que, par la magie de la photosynthèse, les arbres et autres végétaux absorbent le gaz carbonique de l’atmosphère et utilisent la lumière solaire pour le convertir en oxygène. Les forêts jouent donc le rôle de « poumons » de la Terre – ou plutôt de pouvons « inversés » car, à l’inverse de la photosynthèse, la respiration nous fait inhaler de l’oxygène pour exhaler du gaz carbonique. Les forêts et autres plantes vertes compensent ainsi la consommation d’oxygène et la production de gaz carbonique des autres êtres vivants. En les rasant, nous rompons ce fragile équilibre. Si les trois quarts de l’argumentation de la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère terrestre proviennent de la combustion de carburants fossiles par les hommes, le quart restant est dû à la destruction des forêts tropicales.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 551 et 552

 

 

Des énergies non renouvelables qui polluent l’environnement

Les réserves de pétrole, de gaz et de charbon ne sont pas illimitées. Elles sont en train de s’épuiser rapidement et, plus grave encore, ne sont pas renouvelables. La connaissance du pétrole date de l’Antiquité. Les Anciens l’utilisaient pour des applications très variées : les Égyptiens s’en servaient pour la conservation des momies, les Chinois pour fabriquer des briques et chauffer les maisons, d’autres encore pour calfater les coques de leurs navires. Mais l’utilisation des combustibles fossiles prend vraiment son essor avec la révolution industrielle, vers la fin du XVIIIème siècle. Avec l’invention de la machine à vapeur, l’homme apprend à convertir en travail la chaleur du charbon brûlé. Avec l’invention du moteur à explosion et de l’automobile, le pétrole va supplanter le charbon comme combustible fossile le plus utilisé. Le premier puits moderne a été foré en 1859 en Pennsylvanie, aux États-Unis. Le pétrole pourvoit à l’heure actuelle à 40% de nos besoins énergétiques, tandis que gaz et charbon en satisfont chacun de l’ordre de 25%. Le charbon est aujourd’hui surtout utilisé dans les centrales thermiques pour produire de l’électricité : l’eau chauffée y est transformée en vapeur, laquelle active des turbines connectées à un générateur électrique.

En un peu plus de cent cinquante ans, nous avons déjà consommé une bonne partie des réserves de combustibles fossiles que la nature a mis patiemment des centaines de millions d’années à fabriquer. Il faudra des centaines d’autres millions d’années pour renouveler ces réserves. C’est un temps dont l’homme ne dispose pas. Par inconscience et cupidité, il ne cesse de se livrer à une ébauche de dépenses d’énergie pour produire et consommer toujours plus. L’homme est la seule espèce vivant sur Terre à consommer plus d’énergie qu’il ne lui en faut pour vivre et se reproduire. Aujourd’hui, les habitants des pays développés dépensent pour leur transport et leur confort presque cent fois l’énergie nécessaire à leur métabolisme! Au rythme frénétique actuel de notre consommation d’énergie, on estime que les réserves de pétrole (surtout localisées au Moyen-Orient) et de gaz (principalement au Moyen-Orient et dans l’ancienne Union soviétique) seront épuisées vers 2100. Quant au charbon, qui est le combustible la plus abondant et le mieux réparti géographiquement sur Terre (ses plus grosses réserves étant situées aux États-Unis et dans l’ancienne Union soviétique), il offrira un répit, mais lui aussi sera épuisé vers l’an 2300.

Mais, même si les réserves en carburants fossiles étaient illimitées, l’urgence est grande de trouver et développer des sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement. En effet, la consommation effrénée de combustibles fossiles a sérieusement perturbé l’équilibre de notre écosphère. La combustion du pétrole et du charbon a déversé des tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère terrestre, exacerbant l’effet de serre et entraînant un réchauffement de la planète, avec des conséquences potentielles catastrophiques pour la survie de notre espèce et de bien d’autres. Le gaz carbonique que les fougères du carbonifère ont si serviablement ôté de l’air il y a quelques 300 millions d’années y a été ainsi restitué dans sa quasi-totalité. Ce rejet dû à l’activité humaine représente la moitié des rejets effectués dans l’atmosphère terrestre, soit environ 7 milliards de tonnes par an. À l’échelle du globe, la combustion du charbon pour produire de l’électricité est une importante source de gaz carbonique. Sur ce plan, la France fait exception, car son électricité est à 90% d’origine nucléaire ou hydraulique. De ce fait, un Français est responsable en moyenne de presque trois fois moins d’émissions de gaz carbonique qu’un Américain. La combustion du pétrole pour alimenter nos voitures et celle des combustibles fossiles pour chauffer nos maisons, nos bureaux, et faire fonctionner nos usines, contribuent aussi à l’augmentation de l’effet de serre. Le gaz carbonique produit par l’activité humaine est responsable à 60% de l’accroissement constaté de l’effet de serre.

L’autre gaz à effet de serre lié lui aussi à l’activité humaine et qui a un impact important sur l’environnement est le méthane. Sa contribution à l’augmentation de l’effet de serre est de 20%. Il provient surtout de l’élevage, en particulier de l’estomac des vaches (une vache laitière produit en moyenne 90 kilogrammes de méthane par an), mais aussi des ordures ménagères ou encore des rizières. Les reste de la hausse de l’effet de serre est dû à des gaz moins abondants dans l’atmosphère comme les fameux chlorofluorocarbones (CFC) utilisés jadis dans la réfrigération et la climatisation, et progressivement interdits depuis 1987 à cause de leurs effet destructeur sur la couche d’ozone.

Avec le tarissement des puits de pétrole et l’envol des prix du carburant, la tentation sera grande, à terme, de redonner la première place au charbon, avec toutes les conséquences néfastes qui y sont liées sur le plan écologique : des poussières de houille qui se disséminent dans l’air et se déposent dans les poumons des hommes; la fumée qui obscurcit le ciel et noircit les façades des maisons; des oxydes toxiques de souffre et d’azote qui acidifient la pluie et la neige, menaçant la santé des hommes en même temps que celle des lacs, rivières et forêts, et rongeant les beaux monuments en marbre dans les villes. Ces coûts humains et environnementaux élevés sont inacceptables et doivent être évités à tout prix.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 564 à 567

 

 

Après avoir vu comment la lumière est source de toute vie sur Terre, comment elle contrôle notre santé et dicte notre humeur, comment elle est à l’origine de toutes les sources d’énergie existantes, comment elle est responsable de toutes les couleurs qui nous entourent, de ces chefs-d’œuvre naturels qui font que la vie vaut la peine d’être vécue – le ciel bleu, la mer azurée, les couchers de soleil rougeoyant, les nuages blancs –, comment elle nous donne à voir en spectacle le merveilleux arc-en-ciel, la fantastique aurore boréale, il est temps de nous pencher sur les diverses façons dont l’homme a su dompter la lumière pour améliorer son bien-être et communiquer avec ses semblables, et, ce faisant, transformer la planète en un village global.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 650 et 651

 

 

Le caractère holistique de l’hologramme et de l’univers

Plus curieux encore que leur nature immatérielle, les images holographiques possèdent une autre propriété tout à fait surprenante et extraordinaire : chaque partie d’un hologramme contient toute l’information de l’hologramme entier. Ce qui n’est pas du tout le cas pour une image ordinaire. Ainsi, si quelqu’un venait à découper une partie du négatif d’une photo de vous, par exemple la partie qui a enregistré l’image de votre bras, la photo qui en résulterait vous montrerait amputé d’un bras. En revanche, si une personne vient à ôter une partie du dessin des interférences qui constitue le « négatif » holographique, et si vous éclairez la partie restante par un faisceau laser, vous obtiendrez non pas une partie de l’hologramme, mais celui-ci en entier, quoique d’une brillance moindre, et avec des perspectives plus limitées. Cela parce que, dans le cas d’un hologramme, il n’existe plus de relation unique entre une partie de la scène photographiée et une partie du négatif, comme dans un négatif ordinaire. La scène entière est enregistrée en tout point du négatif holographique. En d’autres termes, chaque partie de l’hologramme contient le tout.

Ce phénomène a une conséquence inouïe : les ondes lumineuses imprègnent tout l’univers, elles voyagent sans relâche, se réfléchissant d’un objet à l’autre, rebondissant d’un endroit à l’autre, s’interférant sans cesse les unes avec les autres. Elles créent ainsi des motifs d’interférences qui changent et évoluent en permanence au fil du temps, recelant d’inépuisables trésors d’informations sur tous les objets avec lesquels elles ont interagi sur leurs parcours. La forme géométrique des objets rencontrés, leurs dispositions spatiales, leurs séparations tout cela est encodé dans les motifs d’interférences que tracent les innombrables ondes lumineuses qui peuplent l’univers. La matière ayant aussi une nature ondulatoire – rappelez-vous la découverte du physicien français Louis de Broglie (1892-1987) -, celle-ci participe également à l’élaboration de ce vaste réseau d’interférences. L’univers peut ainsi être considéré comme baigné par un ample motif codé de matière et d’énergie. Chaque région d’espace, si minuscule soit-elle (elle peut être aussi infime que la taille d’un photon, égale à la longueur de l’onde qui lui est associée), contient des informations sur la totalité du passé et a la faculté d’influence les évènements à venir. Nous sommes alors conduits à une vue holistique stupéfiante du cosmos, celle d’un univers holographique infini dans lequel chaque région est perçue selon une perspective différente, mais contient inévitablement le tout.

Tout comme l’expérience EPR (Einstein-Podolsky-Rosen) qui nous dit que si deux particules ont interagi, elles se maintiennent en contact par une mystérieuse et omniprésente influence, le concept d’un univers holographique nous contraint à dépasser nos notions habituelles de temps et d’espace : chaque partie contient le tout et le tout reflète chaque partie. Le livre que vous tenez entre vos mains, les objets qui vous entourent, ces roses parfumées, ces statues de Rodin, ces tableaux de Cézanne, tous les objets que nous identifions comme autant de fragments de réalité portent la totalité enfouie en eux grâce à ce vaste réseau d’interférences d’ondes lumineuses qui baigne tout l’univers. L’intuition poétique rejoignant parfois la démonstration scientifique, le poète anglais William Blake (1757-1827) a superbement exprimé cette globalité cosmique par ces vers magnifiques dans Augures d’Innocence :

                Voir un univers dans un grain de sable

                Et un paradis dans une fleur sauvage

                Tenir l’infini dans la paume de sa main

                Et l’éternité dans une heure.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 700 à 702

 

 

Le « trou noir » comme ordinateur quantique

Quel rapport entre un trou noir et un ordinateur? Ce qui semble au premier abord une question dépourvue de sens est au contraire un sujet d’investigation on ne peut plus sérieux pour le physicien. Pour celui-ci, tout système physique, que ce soit un rocher, une planète, une étoile, une galaxie, voire l’univers entier, enregistre et traite de l’information, c’est-à-dire agit comme une machine à calculer. Chaque électron, photon ou toute autre particule élémentaire stocke des données sous forme de bits, et chaque fois que deux de ces particules interagissent il y a transformation de ces bits. Cette convergence de la physique et de la théorie de l’information est une conséquence directe du principe de base de la mécanique quantique : la nature et discontinue, ce qui veut dire que tout système physique peut être décrit par un nombre fini de bits (ou de qubits). Ainsi, le spin de chaque particule peut être orienté vers le haut ou vers le bas, correspondant aux valeurs 0 ou 1 d’un bit. Il peut aussi changer d’orientation, simulant ainsi une simple opération de calcul. Le système est discontinu non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps : il faut un laps de temps minimal pour effectuer le changement d’orientation du spin d’une particule. Ce laps de temps est déterminé par le principe d’incertitude de Heisenberg : plus l’énergie fournit est grande, plus le temps est court.

Le trou noir, prison de lumière qui résulte de l’effondrement gravitationnel d’un objet massif, semble à première vue faire exception à la règle. Il absorbe une grande quantité d’information, celle qui caractéristique tout objet tombant dans sa bouche béante. Par exemple, si vous chutez dans un trou noir, l’information que celui-ci engloutit comprend votre masse, votre taille, les vêtements que vous portez, la couleur de vos yeux, etc. Jusqu’au début des années 1970, on pensait que cette information était perdue, une fois franchi le rayon de non-retour du trou noir. En 1974, en appliquant les lois de la mécanique quantique au trou noir, le physicien anglais Stephen Hawking a démontré que celui-ci n’est pas tout à fait « noir », mais qu’il rayonne. Dans l’analyse initiale de Hawking, ce rayonnement était chaotique et ne comportait aucune information utilisable. Si vous tombez dans le gouffre du trou noir et que vous êtes reconverti en rayonnement émis par le trou noir, ce rayonnement ne pourra être utilisé pour vous reconstruire. Ce qui posait problème, les lois de la mécanique quantique étant supposées préserver l’information. Plusieurs physiciens ont donc argué que le rayonnement émis par un trou noir n’est pas totalement désordonné, mais qu’il contient de l’information. En 2004, Hawking s’est rallié à ce point de vue selon lequel le rayonnement d’un trou noir est une version hautement élaborée de l’information tombée dans son gouffre. Mais la discussion n’est pas close, et le débat sur cette question fait encore rage.

Admettons que le raisonnement précédent soit correct, il implique que, si la matière une fois tombée dans la bouche béante du trou noir ne peut plus en ressortir, son contenu en information, lui, le peut. Une façon d’expliquer pourquoi c’est le cas consiste à faire de nouveau appel à des photons intriqués. Une paire de photons intriqués se matérialise juste au-delà du rayon de non-retour du trou noir. Le premier photon s’échappe des griffes du trou noir, tandis que le second retombe dans son gouffre, happé par la singularité, la région au centre du trou noir où le champ gravitationnel et la courbure de l’espace deviennent infinis. La chute du deuxième photon dans le gouffre du trou noir est comme un acte de mesure. Et parce que les deux photons sont intriqués, la mesure du photon à l’intérieur du trou noir est instantanément répercutée sur l’autre photon, à l’extérieur du trou noir, ce qui se traduit par un transfert de l’information de l’intérieur du trou noir vers l’extérieur. L’information est bel et bien manipulée à l’intérieur du trou noir, ce qui fait que celui-ci se comporte en somme comme un ordinateur.

Comment un trou noir fonctionnent-t-il en pratique comme un ordinateur? Il suffit d’encoder des données sous forme de matière et d’énergie et de les envoyer dans la bouche béante du trou noir. En interagissant les unes avec les autres, les particules qui tombent dans le gouffre effectuent des calculs pendant un certain temps avant d’accéder à la singularité. Cette information est communiquée à l’extérieur par les paires de photons intriqués. Ce qui advient en suite à la matière quand elle est comprimée dans la singularité nous échappe encore, car nous ne disposons pas d’une théorie de la gravité quantique.

Prenons par exemple un trou noir avec une masse d’un kilogramme. Son rayon de non-retour, qui varie en proportion de sa masse, est d’un milliardième de milliardième de milliardième de mètre (10-27 mètre), soit un millionième de millionième du rayon d’un proton. En convertissant sa masse en énergie par la fameuse formule d’Einstein, E=mc2, et en répartissant cette énergie dans des bits, le trou noir peut accomplir 1051 opérations par seconde. Quant à la capacité de stockage de données du trou noir, elle est de 1016 bits. Le trou noir est un processeur ultra-rapide, car le temps mis pour modifier l’état d’un bit et donc exécuter une instruction n’est que de 10-35 seconde, soit le temps mis par la lumière pour traverser le trou noir. La communication est donc aussi rapide que le calcul. L’« ordinateur trou noir » agit comme une seule unité. Au fur et à mesure qu’il rayonne, sa masse diminue, car c’est elle qui est convertie en rayonnement. Après avoir émis des rayons gamma pendant un très bref millième de milliardième de milliardième de seconde (10-21 seconde), le trou noir disparait dans un flash de rayonnement. Des Terriens pourront dès lors capter ces rayons gamma et décoder les résultats des calculs du trou noir!

Par comparaison, un ordinateur conventionnel ne peut accomplir que 109 opérations par seconde, soit des millions de milliards de milliards de milliards de milliards de fois moins que le trou noir d’un kilogramme, et stocker 1012 bits, soit 10000 fois moins que le trou noir. Mais l’ordinateur classique a l’avantage de ne pas exploser au bout d’un très court instant! On peut s’étonner que le trou noir ne puisse stocker que relativement peu d’information. Cela est dû à son extrême gravité. Quand la gravité est négligeable, la capacité de stockage varie en proportion du nombre de particules, donc avec le volume. Mais quand la gravité est dominante, elle lie les particules ensemble, si bien que, collectivement, celles-ci sont moins capables de stocker de l’information : au lieu d’être proportionnelle au volume, la capacité de stockage du trou noir varie dès lors seulement comme sa surface.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 779 à 783

 

 

Le cerveau humain est l’aboutissement d’une longue histoire

Comment les signaux lumineux captés par les photorécepteurs de la rétine nous permettent-ils de voir? Comment le cerveau convertit-il en images les messages véhiculés par les nerfs optiques? Pour répondre à ces questions, il faut nous pencher sur la structure du cerveau.

Jusqu’à ce que nous entrions en contact avec des intelligences extraterrestres, le cerveau humain est la structure la plus complexe connue dans l’univers. Il contient quelques centaines de milliards de cellules nerveuses appelées neurones, chacune de quelques millionièmes de millimètre de diamètre. C’est autant que le nombre d’étoile dans une galaxie, ou le nombre de galaxies dans l’univers observable. Le cerveau est une jungle impénétrable de neurones interconnectés. Si tous les axones présents dans notre cerveau étaient mis bout à bout, ils s’étendraient sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres. Chacun des centaines de milliards de neurones compte en moyenne entre 1000 et 10000 connexions ou synapses, ce qui fait que chaque neurone peut en même temps recevoir des signaux de milliers d’autres neurones et en envoyer à un nombre aussi élevé. Notre cerveau contient ainsi plus de 100 000 milliards de synapses : tous les ordinateurs du monde connectés ensemble n’auraient pas sa puissance de traitement de l’information.

Le cerveau humain est l’aboutissement d’une longue histoire. Il est composé de trois parties interconnectées, chacune apparue plus tôt chez des animaux « inférieurs » et chacune correspondant à une étape majeure de l’évolution. La partie la plus ancienne est le cerveau reptilien, qui a probablement évolué il y a quelque 400 millions d’années. Non seulement ce cerveau reptilien contrôle le rythme de la respiration et celui des battements du cœur, mais il est aussi à l’origine de notre agressivité, de notre sens de la territorialité et des hiérarchies sociales. Le cerveau reptilien est entouré par le cerveau limbique, que nous partageons avec les autres mammifères et qui a évolué entre -300 et -200 millions d’années. Ce cerveau limbique régule la température du corps et la tension artérielle. Il est aussi le site des émotions, de l’affectivité et du désir sexuel. Il est responsable de l’instinct de conservation qui nous incite à nous nourrir, à nous défendre et à nous reproduire. Enfin, couronnant le tout, vient le cortex (du mot latin signifiant « écorce ») qui représente environ 85% de notre cerveau et qui contient plus de neurones que n’importe quelle autre de ses parties. Le cortex a probablement commencé à évoluer il y a plusieurs dizaines de millions d’années, mais il est passé à la vitesse supérieure il y a environ un million d’années, avec l’émergence des humains. Parmi toutes les espèces, nous possédons le cortex le plus développé. La surface du cortex humain est de quelques 2200 centimètres carrés et, pour résider dans la boite crânienne d’un volume de moins d’un litre et demi, il doit être maintes fois plié et replié sur lui-même. C’est dans le cortex que les pensées naissent, que les décisions sont prises, que les souvenirs du passé surgissent, que le futur est planifié, que le sentiment religieux et le sens de la transcendance prennent forme. C’est là aussi que se trouve le centre de la vision. À l’arrière du cortex cérébral est situé le lobe occipital (« occipital » signifie en latin « vers l’arrière »); les signaux visuels de la rétine y sont traités et transformés en images. C’est la raison pour laquelle ce lobe occipital est aussi appelé « cortex visuel ». On pense que le cerveau y engendre aussi les images mentales qui apparaissent dans nos rêves au cours du sommeil.

La dernière étape de l’évolution du cerveau humain est la spécialisation des deux hémisphères. Elle est survenue entre -4 et -1 million d’années. L’hémisphère gauche et plus impliqué dans le langage, le sens mathématique et le raisonnement logique; l’hémisphère droit, dans la représentation spatiale des formes ainsi que dans les sens artistiques et poétique. Mais, tout comme les cerveaux reptilien, limbique et cortical forment un tout interconnecté, les deux hémisphères sont reliés par un « pont » composé de quelques 300 millions de fibres nerveuses, le « corps calleux », et fonctionnent de manière interdépendante.

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 807 à 809

 

 

La luminosité fondamentale de l’esprit

À l’encontre des religions monothéistes, le bouddhisme n’accepte pas la notion d’un Dieu créateur. Pour lui, le monde des phénomènes n’est pas créé, au sens où il serait passé de l’inexistence à l’existence; le monde existe seulement selon une « vérité relative » qui correspond à notre expérience empirique et qui consiste à attribuer aux choses une réalité objective, comme si elles existaient de leur propre chef et possédaient une identité intrinsèque. Selon le bouddhisme, la « vérité absolue » correspond à un monde dépourvu d’une réalité ultime, en ce sens que les phénomènes ne sont pas une collection d’entités autonomes existant intrinsèquement par elles-mêmes. Le grand philosophe indien bouddhiste du IIème siècle, Nagarjuna, a dit : « Les phénomènes tirent leur nature d’une mutuelle dépendance et ne sont rien en eux-mêmes. » C’est la grande loi de l’interdépendance, idée fondamentale du bouddhisme : l’évolution des phénomènes n’est ni arbitraire ni déterminée par une instance divine, mais suit les lois de cause à effet au sein d’une interdépendance globale et d’une causalité réciproque.

L’interdépendance est nécessaire à la manifestation des phénomènes. « Ceci surgit parce que cela est », ce qui revient à dire que rien n’existe en soi, et « ceci, ayant été produit, produit cela », ce qui signifie que rien ne peut être sa propre cause. Sans l’interdépendance des choses, le monde ne pourrait pas fonctionner. Un phénomène quel qu’il soit ne peut survenir que s’il est relié et connecté aux autres. Tout est relation, rien n’existe en soi et par soi. Une entité qui existerait indépendamment de toutes les autres serait immuable et autonome : elle ne pourrait agir sur rien, et rien ne pourrait agir sur elle. Le bouddhisme envisage ainsi le monde comme un vaste flux d’évènements reliés les uns aux autres et participant tous les uns des autres. La façon dont nous percevons ce flux cristallise certains aspects de cette globalité de manière purement illusoire et nous fait croire que nous avons devant nous des entités autonomes dont nous serions entièrement séparés. Le bouddhisme prône la voie du Juste Milieu : il ne dit pas que l’objet n’existe pas, puisque nous en faisons l’expérience. Il évite ainsi la position nihiliste qui lui est souvent attribuée à tort. Mais il affirme aussi que cette existence n’est pas autonome, mais purement interdépendante, évitant ainsi la position réaliste matérialiste. Le concept d’interdépendance réfute tout aussi bien la notion de particules élémentaires autonomes qui seraient le fondement du monde matériel que celle d’une entité créatrice toute-puissante et permanente qui n’aurait d’autre cause qu’elle-même. Le concept d’un « Dieu de lumière » qui aurait créé ex nihilo l’univers est donc absent du bouddhisme. Or, s’il n’y a pas de Créateur, l’univers ne peut être créé. Il n’a donc ni commencement ni fin. L’univers scientifique compatible avec le point de vue bouddhiste serait un univers cyclique, en proie à une série sans fin de big-bang et de big-crunch.

Mais si le concept d’un Dieu de lumière n’existe pas dans le bouddhisme, la métaphore lumineuse y est présente pour désigner la connaissance de la vérité absolue (ou ultime) et la dissipation de l’ignorance. Par « connaissance », le bouddhisme désigne non pas l’acquisition d’une masse de savoirs et d’informations, mais la compréhension de la véritable nature des choses. Habituellement, nous attribuons aux choses une existence autonome et intrinsèque, mais nous ne discernons pas leur nature interdépendante. Nous pensons que le « moi » ou l’« ego » qui perçoit ces entités est tout aussi concret et réel. Ce faisant, nous nous égarons, nous avons une idée erronée de la réalité ultime qui est la « vacuité » (ou absence d’existence propre des phénomènes, qu’ils soient animés ou inanimés). Cette méprise, que le bouddhisme appelle « ignorance » ou samsara, engendre des sentiments d’attachement ou d’aversion qui sont souvent causes de souffrance. C’est seulement en acquérant la « connaissance », c’est-à-dire une juste compréhension de la nature des choses et des êtres, que nous pouvons éliminer progressivement notre aveuglement mental et les souffrances qui en résultent, et trouver la sérénité dans notre esprit. Le bouddhisme appelle cette prise de conscience la « luminosité fondamentale de l’esprit ». Elle correspond à une connaissance pure qui ne fonctionne pas sur le mode dual sujet-objet ni ne connaît de pensée discursives. Ce mode de connaissance est aussi appelé « luminosité naturelle » ou « présence éveillée ».

Les voies de la lumière, Trinh Xuan Thuan, pages 916 à 918

 

 

 

Voyage au coeur de la lumière

 

Titre : Voyage au cœur de la lumière

Auteur : Trinh Xuan Thuan

Genre : Science

Date : 2008

Pages : 126

Éditeur : Gallimard

Collection : Découvertes Gallimard

ISBN : 978-2-07-034902-9

 

Si familière et pourtant si mystérieuse, la lumière a toujours fasciné les hommes, qu'ils soient philosophes, croyants, artistes ou scientifiques. D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? A quelle vitesse ? Comment la dompter...? Est-elle onde ou particule? Cette question sur sa " véritable " nature a suscité au XVIIe siècle un débat passionné qui aboutira aux deux théories fondatrices de la physique moderne, la relativité d'Einstein et la mécanique quantique. Aujourd'hui, les astronomes, par l'observation des sources lumineuses du cosmos, peuvent remonter le temps et retracer l'histoire de l'univers. Demain, grâce à la technologie des fibres optiques, la lumière supplantera l'électronique dans les télécommunications. Évoquant tour à tour la lumière solaire, à l'origine de toute vie, et la lumière artificielle, remarquable conquête technique, l'astrophysicien Trinh Xuan Thuannous entraîne dans un brillant voyage.

 

 

 

Le Cosmos et le Lotus

 

Titre : Le Cosmos et le Lotus

Auteur : Trinh Xuan Thuan

Genre : Science / Religion

Date : 2011

Pages : 259

Éditeur : Albin Michel

Collection : -

ISBN : 978-2-226-23054-6

 

Que nous dit vraiment la science sur la nature de l’univers, sur son origine et son avenir ? Par quel mystère le langage mathématique, pure création de l’esprit humain, se révèle-t-il aussi performant pour nous décrire les phénomènes physiques, de l’infiniment petit à l’infiniment grand ? S’il existe un ordre du monde, ce que nous en disent la physique quantique et la théorie de la relativité est-il compatible avec ce qu enseigne le bouddhisme ? Et que peut-on en conclure concernant notre propre vie ? A ces questions passionnantes et à beaucoup d’autres, le célèbre astrophysicien Trinh Xuan Thuan répond ici d’une façon personnelle, en s’appuyant sur son expérience. Son itinéraire l a placé d’emblée à la confluence de trois cultures : issu d’une famille de lettrés vietnamiens imprégnée de traditions bouddhiste et confucéenne, il a reçu une éducation à la française puis une formation scientifique à l’américaine. Une telle richesse de points de vue lui permet d’apporter, non pas des réponses toutes faites du haut de son savoir, mais des éléments de réflexion accessibles à tous, qui nous font participer à la grande aventure de l’astrophysique depuis un siècle. Entre le Cosmos que nous dévoile chaque jour la science et le « Lotus » de la sagesse orientale, Trinh Xuan Thuan nous invite à emprunter une voie d’intelligence ouverte.

  

« Le but essentiel de notre formation princetonienne n’était pas tant d’apporter tout de suite des réponses que de savoir poser les bonnes questions, car en science un problème bien posé est un problème déjà à moitié résolu. »

Trinh Xuan Thuan, Le Cosmos et le Lotus, page 55, lignes 2-6

 

« Or, en science comme dans tout autre domaine, il faut se méfier des modes. Une théorie qui rallie la majorité des voix à un moment donné n’est pas nécessairement la bonne. La plupart de ceux qui l’adoptent le font non pas après un examen critique, mais par conformisme et inertie intellectuelle, ou encore parce que cette théorie est défendue par quelques chefs de file particulièrement éloquents ou influents. »

Trinh Xuan Thuan, Le Cosmos et le Lotus, page 158, lignes 10-17

 

« La sciene moderne a énormément contribué à alléger notre quotidien, mais elle ne peut pas nous offrir le bien-être moral. C’est seulement en nous transformant intérieurement que nous pouvons espérer atteindre la sérénité et le bonheur. Seule, la science est inapte à développer en nous les qualités humaines indispensables à ce bonheur, car par elle-même elle est incapable d’engendrer la sagesse.

Trinh Xuan Thuan, Le Cosmos et le Lotus, pages 193-194, lignes 15-4

 

Voici quelques liens vers des videos sur la présentation de ce livre.

Dans la première, l'astrophysicien présente son nouveau livre, "Le cosmos et le lotus", à l'émission La Grande Librairie du 22 septembre 2011.

Suivre le liens suivant pour voir le documentaire :

https://www.youtube.com/v/dCC0z8mnAPo%26showsearch=0

Dans le seconde, TXT présente son nouveau livre "Le cosmos et le lotus" sur France Ô dans l'émission "10 minutes pour le dire".

Suivre le liens suivant pour voir le documentaire :

https://www.youtube.com/v/_ozpQoEMkEY%26showsearch=0

 

 

Trinh Xuan Thuan - Désir d'infini

Titre : Désir d’infini

Auteur : Trinh Xuan Thuan

Genre : Science

Date : 2013

Pages : 426

Éditeur : Gallimard

Collection : Folio Essais

ISBN : 978-2-07-045764-9

 

L’infini est le sujet le plus vaste que l’imagination puisse embrasser. Il a de tout temps fasciné les hommes, qu’ils soient artistes, philosophes ou scientifiques. Mais l’infini se manifeste-t-il vraiment dans la réalité physique, ou est-il seulement un concept de notre imagination, comme le pensait Aristote ?

Des artistes comme Escher, des écrivains comme Borges ont tenté de le représenter, mais c’est Georg Cantor qui assoit fermement l’infini dans le paysage des mathématiques et nous dévoile ses propriétés étranges et magiques.

L’univers est, par excellence, le lieu où l’infini se manifeste. Dans un univers infini, nous serions confrontés au paradoxe de l’éternel retour, où chacun de nous posséderait un nombre infini de sosies. Les avancées en physique de ces dernières décennies ont donné au mot « infini » un sens nouveau. Il se réfère non seulement à notre univers, mais aussi à une infinité d’univers parallèles, le tout formant un vaste et fantastique « multivers ».

A ces sujets vertigineux, Trinh Xuan Thuan apporte ses réflexions avec la pédagogie lumineuse, à la fois scientifique, philosophique et poétique qui lui est coutumière et qui a fait le grand succès de La Mélodie secrète, du Chaos et l’Harmonie, et, plus récemment, du Cosmos et le Lotus.

 

 

Comme le mathématicien franco-américain André Weil (1906-1998) l’a formulé : « Dieu existe, parce que la structure des mathématiques est cohérente; mais le Diable existe aussi, parce que nous ne pouvons le démontrer ! »

Trinh Xuan Thuan, Désir d'infinipage 116

 

« Revenons à notre question du début : l’univers est-il fini ou infini? En dépit de tous nos efforts, nous ne le savons toujours pas. Il se fait que l’univers a une courbure nulle. Ce qui veut dire que, selon sa topologie, il peut être bien infini (comme dans le cas d’une nappe) que fini (comme dans le cas d’un « tore »). Les deux possibilités sont compatibles avec notre connaissance de l’univers. Les équations de la relativité ne nous disent rien sur la topologie de l’univers. Einstein a évoqué ainsi, de façon humoristique, notre ignorance de la taille de l’univers : « Deux choses sont infinis : l’univers et la stupidité humaine; et je ne suis pas sûr de l’infinitude de l’univers. »

Trinh Xuan Thuan, Désir d'infini, page 262

 

« Autre raison pour laquelle je m’insurge contre l’hypothèse du hasard : je ne puis concevoir que toute la beauté, l’harmonie et l’unité du monde soient le seul fait de la contingence, que la merveilleuse organisation du cosmos que je contemple grâce à mes télescopes n’ait aucun sens. L’univers est beau : des pouponnières stellaires aux galaxies spirales, des cimes enneigées aux plaines verdoyantes, des couchers de soleil aux nuits étoilées, du ciel bleu aux aurores boréales, l’univers nous touche au plus profond de l’âme. Il est harmonieux parce que les lois physiques qui le régissent semblent ne varier ni dans l’espace, ni dans le temps. Les lois qui dictent le comportement des phénomènes physiques sur Terre, ce gain de sable dans l’océan cosmique, sont les mêmes que celles qui régissent les galaxies les plus lointaines. Nous le savons parce que les télescopes, on l’a dit, sont des appareils à remonter le temps : voir loin, c’est voir tôt. »

Trinh Xuan Thuan, Désir d'infini, pages 406-407

 

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La pilule rouge
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