Pierre Rosanvallon
Pierre Rosanvallon est un historien, sociologue et intellectuel français. Ses travaux portent principalement sur l'histoire de la démocratie, du modèle politique français, et sur le rôle de l'État et la question de la justice sociale dans les sociétés contemporaines. Il occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France tout en demeurant directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a été l'un des principaux théoriciens de l'autogestion associée à la CFDT. Dans son livre, L'âge de l'autogestion, il défend un héritage philosophique savant, venu à la fois de Marx et de Tocqueville, et annonce une « réhabilitation du politique » par la voie de l'autogestion.
Titre : La démocratie inachevée
Auteur : Pierre Rosanvallon
Genre : Politique
Date : 2000
Pages : 450
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio histoire
ISBN : 2-07-030162-1
Progression de la mondialisation économique, accélération de la construction européenne, croissance du rôle du droit, montée en puissance des instances de régulation non élues, rôle plus actif du Conseil constitutionnel : de multiples évolutions convergent pour ébranler les objets et les modes d'expression acquis de la volonté générale. Ces questions présentes s'éclairent dès lors qu'on les resitue dans une histoire longue et élargie du problème de la souveraineté du peuple. Si celle-ci apparaît depuis plus de deux siècles comme le seul principe organisateur de tout ordre politique moderne, l'impératif que traduit cette évidence fondatrice a toujours été aussi ardent qu'imprécis. Bien qu'il demeure inachevé, le projet d'une souveraineté plus active du peuple, en des termes qui renforcent la liberté au lieu de la menacer, reste toujours pertinent.
Clermont-Tonnerre va ainsi jusqu’à écrire à propos de la Constitution de 1791 : « C’est peut-être la plus ingénieuse invention politique que celle d’avoir déclaré souveraine une nation, en lui interdisant tout usage de sa souveraineté. Voilà l’effet de l’adoption d’une constitution représentative (1) ».
(1) Stanislas Clermont-Tonnerre, Analyse raisonnée de la Constitution française décrétée par l’Assemblée nationale, Paris, 1791, page 123.
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 18
Pétion a bien exprimé à la Constituante cette conception purement instrumentale. « Tous les individus qui composent l’association ont le droit inaliénable de concourir à la formation de la loi, disait-il ; et si chacun pouvait faire entendre sa volonté particulière, la réunion de toutes ces volontés formerait véritablement la volonté générale (1) ».
(1) Discourt de 5 septembre 1789, A.P., t. VIII, page 582
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 19
« C’est une loi fondamentale de la démocratie que le peuple seul fasse les lois », remarque Montesquieu (1) en une formule que ne renierait pas Jean-Jacques [Rousseau].
(1) De l’esprit des lois, livre II, chap.II.
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 27
Condorcet : « on ne doit pas s’étonner de voir les citoyens n’attendre leur salut que d’eux-mêmes, et chercher une dernière ressource dans l’exercice de la souveraineté inaliénable du peuple ; droit qu’il tient de la nature (1) ». Se trouve de la sorte affirmé le principe d’une souveraineté permanente du peuple, contrastant avec la reconnaissance antérieure, plus timide, d’une simple souveraineté originaire (2).
(1) Condorcet, Instruction sur l’exercice du droit de souveraineté (9 août 1792), in Œuvres de Condorcet, Paris, 1847, t. X, page 533 (voir aussi A.P., t. XLVII, page 615).
(2) Le 25 juillet 1792, l’Assemblée rend le célèbre décret qui ordonne la permanence des assemblées de sections.
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 60
« Notre intention, dit-il, a été de donner à la section du peuple qui a élu un député le soin de juger sa conduite ; et nous avons ajouté qu’un député n’était rééligible qu’après que sa conduite aurait été approuvée par ses commettants (1). »
(1) A.P., t. LXVII, page 139
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 80
« Le mot représentation est une métaphore, note-t-il. Pour que la métaphore soit juste, il est nécessaire que le représentant ait une véritable ressemblance avec le représenté ; et, pour cela, il faut, dans le cas présent, que ce que fait le représentant soit précisément ce que ferait le représenté. Il suit de là que la représentation politique suppose le mandat impératif, déterminé à un objet lui-même déterminé, tel que la paix ou la guerre, une loi proposée. Etc. En effet, c’est seulement alors qu’il est prouvé, qu’il est visible, que le mandataire fait ce qu’aurait fait le mandant, ou que le mandant aurait fait ce que fait le mandataire. »
Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, page 113
Titre : Pour une histoire conceptuelle du politique
Auteur : Pierre Rosanvallon
Genre : Politique
Date : 2002
Pages : 47
Éditeur : Du seuil
Collection : -
ISBN : 2-02-057932-4
Mon ambition est de penser la démocratie en reprenant le fil de son histoire. Mais il est tout de suite nécessaire de préciser qu'il ne s'agit pas seulement de dire que la démocratie a une histoire. Il faut considérer plus radicalement que la démocratie est une histoire. L'objet de l'histoire conceptuelle du politique est ainsi de suivre le fil des expériences et des tâtonnements, des conflits et des controverses, à travers lesquels la cité a cherché à prendre forme légitime. En retraçant la généalogie longue des questions politiques contemporaines, il s'agit de reconstruire la façon dont des individus et des groupes ont élaboré leur intelligence des situations, de repérer les récusations et les attractions à partir desquelles ils ont formulé leurs objectifs, de retracer la manière dont leur vision du monde a borné et organisé le champ de leurs actions. C'est pour cela une histoire qui a pour fonction de restituer des problèmes plus que de décrire des modèles.
L'histoire ainsi conçue est le laboratoire en activité de notre présent, et non pas seulement l'éclairage de son arrière-fond. L'attention aux problèmes contemporains les plus brûlants et les plus pressants ne peut se dissocier pour cette raison d'une méticuleuse reconstruction de leur genèse.
Titre : La contre-démocratie – La politique à l’âge de la défiance
Auteur : Pierre Rosanvallon
Genre : Politique
Date : 2006
Pages : 322
Éditeur : Du seuil
Collection : Points
ISBN : 978-2-7578-4116-7
L’idéal démocratique règne désormais sans partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent partout de vives critiques. L’érosion de la confiance dans les représentants est ainsi l’un des problèmes majeurs de notre temps. Mais, si les citoyens fréquentent moins les urnes, ils ne sont pas pour autant devenus passifs : on les voit manifester dans les rues, contester, se mobiliser sur Internet… Pour comprendre ce nouveau Janus citoyen, cet ouvrage propose d’appréhender les mécanismes d’institution de la confiance et l’expression sociale de la défiance comme deux sphères et deux moments distincts de la vie des démocraties. L’activité électorale-représentative s’organise autour de la première dimension : c’est elle qui a été classiquement étudiée. Mais la seconde n’a jamais été explorée de façon systématique. C’est à quoi s’attache Pierre Rosanvallon en proposant une histoire et une théorie du rôle structurant de la défiance dans les démocraties.
Titre : La société des égaux
Auteur : Pierre Rosanvallon
Genre : Sociologie, politique
Date : 2011
Pages : 411
Éditeur : Éditions du Seuil
Collection : Point, essais
ISBN : 978-2-02-102347-3
Depuis les années 1980, les plus riches n’ont cessé d’accroître leur part des revenus et des patrimoines, inversant la précédente tendance séculaire à la réduction des écarts de richesse. Les facteurs économiques et sociaux qui ont engendré cette situation sont bien connus. Mais la panne de l’idée d’égalité a aussi joué un rôle majeur : il n’y a donc rien de plus urgent que de refonder cette notion pour sortir des impasses du temps présent. L’ouvrage contribue à cette entreprise en retraçant l’histoire des deux siècles de débats et de luttes sur le sujet et en élaborant ensuite une philosophie de l’égalité comme relation sociale. Grâce à un éclairage inédit sur les théories de la justice, Pierre Rosanvallon montre que la reconstruction d’une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communalité est la condition d’une solidarité plus active.
« Les trente-trois millions d’individus qui peuplent la France sont partagés en deux nations dont les intérêts sont bien distincts, bien séparés, savoir : la nation des privilégiés et la nation des non-privilégiés ou prolétaire (1). »
(1) Albert Laponneraye, Lettre aux prolétaires, février 1833, page 1
Pierre Rosanvallon, La société des égaux, page 114
Les travaux d’Alberto Alesina et d’Edward L. Glaeser ont établi qu’il existait partout dans le monde une forte corrélation entre fragmentation sociale et politiques de redistribution, les pays les plus hétérogènes étant ceux qui dépensaient le moins pour le social (1). Phénomène qu’il convient de recouper avec le lien qui a par ailleurs été établi entre niveau de confiance et homogénéité dans les sociétés (2). C’est donc que la solidarité est forte là où la confiance entre citoyens l’est également. Et à l’inverse que la détermination à financer des politiques redistributives est faible là où règne la défiance. Ces auteurs ont souligné la dimension raciste que prend cette donnée aux États-Unis : nombre de Blancs y suspectent en effet implicitement les Afro-Américains d’être des tricheurs, de « profiter du système ». Du même coup, ils sont prêts à renoncer à la mise en place de mécanismes redistributifs dont ils pourraient personnellement profiter, du seul fait que, par hostilité raciale, ils veulent écarter les Noirs des bénéfices sociaux que ces derniers en tireraient aussi (3). Vient à l’appui de cette hypothèse le constat que, sur l’ensemble des États-Unis, ce sont les États qui ont le plus faible pourcentage d’Afro-Américains dans leur population qui offrent les prestations sociales les plus généreuse (4). On voit donc bien, là encore, que le racisme a en Amérique une fonction constituante de la détermination des règles de justice sociale, les stéréotypes qui lui sont associés y ayant sous-tendu un certain rejet de l’État-providence.
(1) Alberto Alesina et Edward L. Glaeser, Combattre les inégalités et la pauvreté : les États-Unis face à l’Europe, trad. Paul Chemla, Paris, Flammarion, 2006, page 201
(2) Voir sur ce point l’article séminal de Robert Putnam, « E Pluribus Unum : diversity and community in the twenty-first century », Scandinavian Political Studies, vol. 30, numéro 2, 2007. Cet article sera discuté plus loin.
(3) A. Alesina et E. L. Glaeser, Combattre les inégalités et la pauvreté, op. cit., page 323. Voir aussi les conclusions concordantes de M. Gilens, Why Americans Hate Welfare, op. cit.
(4) A. Alesina et E. L. Glaeser, Combattre les inégalités et la pauvreté, op. cit., page 24.
Pierre Rosanvallon, La société des égaux, pages 221 et 222
Le XIXème siècle a vu l’idée d’égalité se retourner contre elle-même à coups de négations et de redéfinition perverses. La page de cette longue crise se tournera progressivement avec la mise en place des États-providence amorcée au tournant des années 1900. Va alors s’ouvrir le siècle de la redistribution, en même temps que se généralisera en Europe le suffrage universel. Les inégalités seront réduites de façon spectaculaire en quelques décennies. Trois grandes réformes ont été le vecteur de ce basculement : l’institution de l’impôt progressif sur le revenu ; la mise en place de mécanismes assuranciels protégeant les individus contre les risques de l’existence ; l’instauration de procédures de représentation et de régulation collective du travail conduisant à une amélioration notable de la condition salariée.
Pierre Rosanvallon, La société des égaux, page 227